Ce tome fait suite à Lady Killer - Tome 01: À couteaux tirés de Joëlle Jones et Jamie S. Rich, qu'il vaut mieux avoir lu avant pour comprendre les événements passés auxquels les personnages font référence. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016/2017, écrits, dessinés et encrés par Joëlle Jones, avec une mise en couleurs réalisées par Michelle Madsen. Le tome se termine avec 6 pages d'études graphiques effectuées par Joëlle Jones.


Josie (pour Joséphine) Schuller effectue une présentation de récipients en plastique (de type Tupperware) dans la résidence d'une riche femme et de sa sœur, à plusieurs de leurs amies. Après le départ des invités, elle range ses affaires et remet un peu d'ordre, se faisant rappeler à l'ordre par la propriétaire sur le fait qu'elle doit laisser un cadeau. La propriétaire se dirige à l'étage pour aller aux toilettes. Josei Schuller la suit quelques minutes plus tard, entre dans les toilettes et l'assassine froidement en abattant un marteau de charpentier à plusieurs reprises sur son crâne. Elle s'occupe ensuite de sa sœur restée en bas, accomplissant ainsi le contrat passé sur leurs têtes par leur neveu pour hériter. Il lui reste encore à faire disparaître les corps, ce qui s'avère particulièrement fastidieux. Elle finit par trouver un couteau électrique pour les découper, et emmener ensuite les morceaux dans les boîtes Tupperware.


Une fois sa besogne terminée, et après avoir fait un peu de toilette pour effacer les tâches de sang, Josie rentre dans son foyer à Cocoa Beach en Floride, où l'attend son mari en train de préparer le barbecue, ses 2 filles Jane & Jessica, et sa belle-mère, toujours aussi revêche et renfrognée. Ils reçoivent George Robidoux (le patron de Gene Schuller) et sa femme Ruth. George a une bonne descente et raconte des blagues aussi grasses que phallocrates. Une fois les invités repartis, Josie Schuller trouve une excuse pour s'absenter et aller en fait accomplir un nouveau contrat. Le travail d'élimination du cadavre s'avère encore une fois très fastidieux. En prime, elle se fait surprendre par Irving Reinhardt alors qu'elle patauge dans l'eau boueuse pour essayer de faire disparaître le cadavre. Quelques jours plus tard, elle est contactée par une organisation rassemblant des assassins professionnels pour en faire partie, moyennant une cotisation substantielle.


Cette histoire se déroule après le tome 1 dont l'action se situait en 1962. Le lecteur peut donc estimer que cette nouvelle histoire se déroule également au début des années 1960. Joëlle Jones s'en donne à cœur joie avec la reconstitution historique. D'entrée de jeu le lecteur se trouve nez à nez avec une pratique bien installée dans les années 1960 : la démonstration-vente à domicile des produits Tupperware. Les hôtesses (hébergeant la démonstration) recevaient des cadeaux liés au montant des ventes effectuées pendant la séance par la présentatrice de la marque. L'artiste met en scène cette démonstration vente, avec une forme de sarcasme, les invités et les hôtesses étant peu attentives aux efforts de Josie Schuller, et peu amènes dans leurs échanges. Jones représente avec un grand détail la décoration intérieure des pièces de la maison d'accueil, ameublement et décoration. Tout du long de ces 5 épisodes, le lecteur apprécie le soin apporté à cette reconstruction de l'époque : modèles de robe, modèles de voiture, coupes de cheveux, accessoires de cuisine ou de pique-nique, mobilier de bureau, pratiques sociales comme le bingo, etc. Tout est mis en œuvre pour s'approcher au mieux de l'authenticité, l'artiste ayant certainement travaillé à partir de références photographiques d'époque. S'il dispose de cette culture, le lecteur peut facilement reconnaître un modèle ou un autre d'accessoire, comme le couteau électrique.


La reconstitution historique réalisée par Joëlle Jones ne se limite pas à la dimension graphique. Elle met également en œuvre des pratiques sociales de l'époque, que ce soit la conduite en état d'ébriété avéré (George Robidoux après le repas chez les Schuller), la misogynie ouverte, les femmes cantonnées à des position subalternes dans le monde du travail, ou comme objet de plaisir pour les mâles. C'est apparent dans les privautés que se permettent George Robidoux ou le marchand de voitures, dans la manière dont ils envisagent Josie comme un objet à leur disposition sur lequel ils peuvent se livrer à des attouchements sans consentement préalable. Le lecteur se retrouve également à chercher des jouets pour Noël avec Josie dans un magasin qui ne porte pas encore les marques de la consommation industrielle à outrance. Il regarde avec admiration l'uniforme des hôtesses de l'air, ou encore les loges d'une effeuilleuse. Comme dans le tome précédent, Joëlle Jones joue avec la séduction physique de Josie Schuller. Cette femme dispose d'un corps bien proportionné et s'habille avec élégance, mais la dessinatrice ne la transforme pas en objet sexuel pour titiller ses lecteurs mâles. Son maillot de bain n'a rien de scandaleux. La seule scène un peu déshabillée se déroule dans les loges de l'effeuilleuse et ce n'est pas Josie Schuller qui est dénudée.


En entamant l'ouvrage, le lecteur se laisse bien volontiers prendre au jeu de la séduction : Josie est mignonne à craquer dans sa robe un peu serrée, et dans ses gestes aimables et avenante, respectant les bonnes manières, et soumises aux caprices de l'hôtesse. Mais dès la cinquième page, Joëlle Jones rappelle qu'elle n'est pas là pour faire dans la dentelle. Le lecteur découvre un dessin sur une demi-page dans laquelle l'hôtesse (un peu plus de 60 ans) est assise sur les toilettes, le collant et la culotte baissés, en train de lire un magazine. Josie Schuller lui fracasse le crâne avec un marteau de charpentier, et elle doit s'y reprendre à plusieurs reprises pour que l'hôtesse rende son dernier soupir. C'est un meurtre salissant et laborieux. Le pire est à venir avec l'élimination des cadavres qui occupe 3 pages et qui est tout aussi salissante. L'auteure fait bien comprendre au lecteur que le métier d'assassin n'a rien de glamour ou de reluisant. Il faut se salir les mains, mettre la main à la pâte, c'est physique et les victimes ne se laissent pas faire. Ce boulot n'est pas une sinécure et il faut y mettre du cœur à l'ouvrage.


Sous des dehors agréables à l'œil, Joëlle Jones décrit le savoir-faire de Josie Schuller dans ce qu'il a de plus concret et laborieux. Elle n'aborde pas la question morale des actes du Josie, mais elle montre la facette pragmatique de son métier, avec les moments physiques qui n'ont rien de gracieux, avec les risques encourus du fait des réactions des victimes. Elle développe également la manière dont le système essaye de profiter des bénéfices engendrés par cette activité professionnelle : Irving Reinhardt qui souhaite devenir son associé, une forme de syndicat qui lui promet l'accès à de meilleurs contrats si elle y adhère et cotise. Il y a là un commentaire cynique sur le capitalisme qui s'accommode de toutes les entreprises commerciales du moment qu'elles génèrent des bénéfices, et son absence de moralité.


Joëlle Jones n'en reste pas là dans son histoire. Josie Schuller mène à bien plusieurs contrats, toujours avec le même professionnalisme, la même implication physique, la même conscience professionnelle, et les mêmes phases salissantes, en particulier pour faire disparaître les cadavres. En cours de route, apparaît une intrigue liée directement à sa profession et qui connaît sa résolution dans le présent tome. L'histoire ne se limite donc pas à une succession de contrats à exécuter. Le lecteur en apprend un peu plus sur madame Schuller Mère, la mère de Gene, en particulier ses activités pendant la seconde guerre mondiale. Elle dépasse donc le simple dispositif comique, pour devenir un personnage à part entière. De manière incidente au travers de son histoire, la scénariste creuse un peu la question de savoir quelles peuvent être les motivations d'un individu pour mener une carrière d'assassin (c'est l'occasion de découvrir la mère de Josie), et les conséquences sur la vie d'un tel individu. Jones n'aborde pas cette question de front pour Josie. Elle le fait par le biais d'un autre personnage, jouant sur le contraste avec la propre démarche de Josie. Par contre, elle montre les conséquences directes du métier de Josie sur sa vie personnelle, comme il en va aussi pour des métiers plus normaux. Il apparaît alors un portrait en creux de Josie. Les personnages de Gene Schuller et de ses 2 filles Jane & Jessica ne sont guère développés, mais cela apparaît cohérent avec le fait que leur mère Josie ne partage rien de sa vie professionnelle, affrontant chaque difficulté par elle-même, pour pouvoir bénéficier d'une famille normale, pour une vie en société ordinaire, comme les autres.


Joëlle Jones donne une suite à la première minisérie consacrée à Josie, Schuller, une femme assassin, une épouse modèle dans une cellule familiale normale dans les années 1960 aux États-Unis. Le lecteur retrouve tout le charme des dessins, la minutie de la reconstitution historique, l'entrain de Josie Schuller. Il est bien vite rappelé à la réalité du métier d'assassin, à la nécessité de s'impliquer pour faire tourner sa petite entreprise, et aux risques de récupération, voire de phagocytage par des intérêts particuliers ou par des entreprises plus grosses. Joëlle Jones combine avec dextérité les contrats successifs, les difficultés professionnelles très particulières, les risques de s'associer, et l'évolution de la situation personnelle de Josie, avec touches d'humour aussi noir que politiquement incorrect.

Presence
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le 19 janv. 2020

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