Les personnages d'Evangelion ont deux papas : Hideaki Anno et Yoshiyuki Sadamoto. Le premier les a imaginés, leur a donné une personnalité, et les a brutalement plongé dans l'univers sans pitié qu'il a imaginé pour eux. Le second s'est alors chargé de leur donner une apparence, un corps, un visage ; des expressions. Dans le manga d'Eva, c'est ce second père qui va nous raconter l'histoire de ses enfants.

Mon premier contact avec l'univers d'Evangelion s'est fait avec le manga. C'est peu conventionnel, c'est vrai, ça s'est fait un peu par hasard, à la bibliothèque, alors que je venais tout juste de commencer à explorer la section "mangas" que j' avais un peu boudée jusqu'alors. J'avais emprunté les 6 premiers tomes pour les lire en vacances. Cela a été ce qu'on appelle un grosse claque. J'avais 14 ans, l'âge des héros.

Aujourd'hui, c'est avec le point de vue de quelqu'un qui a maté l'anime que j'écris cette critique ; ce qui m'a tout d'abord frappé dans ce manga, c'est le dessin si agréable à l'oeil. On a quand même le luxe de se payer tout du long des dessins de Sadamoto lui-même, qui ne travaille ordinairement qu'en tant que character designer ou illustrateur. Et sans vouloir aller trop loin, j'ai envie de dire que ça fait un peu comme quand on lit Nausicaa et qu'on voit Miyazaki dessiner : c'est voir un maître à l'oeuvre ! En tant que chara designer des personnages d'eva, Sadamoto est probablement le mieux placé pour les dessiner. Il les maîtrise entièrement... Les expressions du visages, les positions du corps, les manières de se tenir, d'avancer ; tout semble lui venir naturellement, tout semble imprégné d'une finesse insufflée par lui, pour peu qu'on apprécie son trait (ce qui est mon cas). Sur le plan visuel c'est donc exceptionnel, d'une part par rapport à tout ce qui a été fait à partir de la licence eva y compris l'anime original, mais aussi, à mon sens, par rapport à la grosse majorité des mangas courants.

Mais la différence se fait surtout sentir sur la narration et les choix qui sont faits dans la manière de traiter, une fois parmi d'autres, l'histoire d'evangelion. Loin des spin-offs nauséabonds auxquels que la licence a malheureusement engendré, ce manga principal donne l'impression d'avoir l'histoire de l'anime contée par une autre personne, avec d'autres souvenirs, d'autres ordres, des amalgames et des rajouts. Et c'est pas désagréable ! Peut-être est-ce dû au fait que j'aie commencé par le manga, mais cette version me parle plus. Le côté philosophique et freudien se fait moins présent, et l'accent est mis sur la psychologie des personnages qui s'exprime dans leur relation aux autres. Cet aspect était déjà présent dans l'anime et c'était selon moi le plus intéressant (l'aspect central, en fait), et ici il est beaucoup plus étayé. Et, j'insiste sur ce point, il ne s'agit pas d'un détournement douteux ou abusif de ce qu'Anno avait déjà mis en place, mais bien d'un développement (le scénario est d'ailleurs supervisé par les studios Gainax).
Par exemple, la profondeur de la relation Shinji-Rei, qui ne faisait que s'esquisser dans l'anime, prend la réelle importance qu'elle méritait. On est vraiment embarqué par ce qui se créé entre les deux personnages, et là ou l'anime ne nous ne faisait qu'un pincement au coeur, l'évolution de la situation du personnage de Rei et la manière dont Shinji y est confronté a dans le manga un réel impact, et dieu que c'est bien mis en scène...
De nombreux dialogues entre Shinji et les autres personnages sont ajoutés, que ce soit Asuka, Tôji, ou encore Misato. On apprend d'ailleurs plusieurs choses sur le passé de certains personnages, comme Kaji. Plus qu'une version "alternative" de l'histoire des personnages, j'aime à penser qu'il s'agit de leur véritable histoire qui n'aurait pas eu le temps d'être développée dans l'anime.
D'autre part encore, le manga nous permet de bien mieux connaître le personnage de Kaoru, qui est sans conteste l'un des personnages les plus intéressants de l'univers d'eva, et dont on ne profitait que durant très peu de temps dans l'anime.

Si l'on sort de la comparaison avec l'anime, l'intérêt principal de l'oeuvre réside donc dans le fait qu'il s'agisse l'un des plus beaux drames psychologiques dessinés en manga, habité d'une subtilité et d'une finesse très communicatives, qui entraîne le lecteur, l'implique, l'obsède volontiers ; bref, l'émeut. Pour peu qu'on soit réceptif, on est réellement pris par cette tragédie orchestrée avec virtuosité, qui marque, immanquablement.

La seule chose qui manque finalement, c'est peut être une fluidité et du punch lors des combats entre les Evangelion. Pour ma part, c'est loin d'être ce qui m'intéressait le plus dans la série. Mais c'est clair que c'est dommage de ne plus avoir ces affrontements titanesques, qui avaient souvent un véritable intérêt dramatique, avec une mise en scène parfois à couper le souffle (le combat contre l'eva-03 parasitée est une des scènes les plus réussies que j'aie pu voir dans un anime...). Ici, c'est moins imposant. Tant pis.

Bref, voilà, une autre vision, une autre voix pour raconter Eva, que je ne trouve pas absurde de préférer. Plus centré sur les personnages, moins sur le background. Plus saisissant, à mon sens, et qui sait rester dans l'esprit de l'anime et du film, du "vrai" evangelion. Pas de fan service, jamais. Ou toujours le même que dans l'anime : ironique et grinçant. Beaucoup plus hardcore que l'anime, aussi, peut-être plus libre, et d'une certaine manière, plus abouti ; c'est ça que j'apprécie, et qui en fait l'un des meilleurs mangas que j'aie lu.
Eterney
9
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le 16 oct. 2012

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Eterney

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