Peu importe la couleur de peau : qu’on soit noir, blanc, schtroumpf ou autres, il faut lire The Boondocks


The Boondocks c’est le coup de pied dans la fourmilière entre 1996 et 2006 d’Aaron McGruder, un afroaméricain qui a alors une vingtaine d’années quand il commence à publier ses strips sur internet, avant que l’Universal Press Syndicate en obtienne les droits pour les diffuser à échelle nationale dans des journaux de presse.


Les strips sont engagés, le propos est aiguisé par la satire féroce qui est à l’oeuvre. Aaron McGruder égratigne la politique, la culture et la société américaine, mené par l’engagement radical d’un petit garçon noir qui n’a pas le cynisme dans la poche, Huey Freeman. Lui et son petit-frère Riley sont bien différents, l’un est un jeune afroaméricain engagé mais désabusé et l’autre veut être un gangster noir comme dans le gangsta rap. L’un et l’autre agacent bien leur grand-père Robert qui a emménagé avec eux dans un quartier tranquille mais qu’ils vont perturber avec leurs idées et leurs bêtises. Dans le voisinage il y a ainsi Jazmine, métisse qui ne veut pas entendre parler de son héritage afroculturel, dont les parents sont des militants pas assez engagés selon Huey. Il y a aussi Cindy, petite fille blanche fan de rap et qui n’avait jamais vu un noir avant mais en connaît tous les clichés.


La galerie de personnages est large, entre l’afro-américain moralisateur, la petite racaille, le grand-père qui veut être tranquille, et bien d’autres. Même si au fil des tomes la galerie se rétrécit un peu aux têtes d’affiches, ceux qui restent ont une forte personnalité. Cet éventail permet de se moquer de tout ce qui peut se rattacher à la culture américaine. Mais aussi d’un racisme parfois latent, reposant sur des clichés ou sur une mauvaise interprétation de la situation de Huey. Les hommes politiques sont clairement cités pour leurs inactions ou leur racisme caché ou avéré, exprimé d’une moquerie aiguisée de Huey. Lui dont les convictions politiques fortes seront aussi moquées.


Le strip fait aussi des pas de côté pour mieux aller chercher de nouvelles cibles. La série Friends est pointée du doigt pour son casting blanc. Jar Jar Binks et sa façon caricaturale de parler, proche d’une certaine caricature de noirs, est aussi montré du doigt. L’épisode I dont il est question est taillé en pièces, pas que pour Jar Jar. Mais il ne s’agit pas que de la représentation des noirs dans la culture, McGruder en vient aux poings avec le sourire moqueur avec les noirs qui se prétendent fiers de leur culture mais qui font leur beurre sur leurs compatriotes, à l’image de la chaine BET et de ses clips de rap avec femmes noires qui se trémoussent.


Le petit frère Riley est aussi un bon personnage, pour des gags peut-être moins chargés en commentaire mais tout aussi mordants. Le petit veut faire son caïd, sans en avoir les moyens de l’être, se présentant comme un futur gangster. Il vandalisera et renommera ainsi les allées de leur quartier pour des noms plus sérieux selon lui. Mais son autorité sera bien vite remise à sa place par son grand-père ou les professeurs de son école.


Par la suite, The Boondocks continuera à affronter l’actualité en face. L’auteur sera accusé de ne pas être patriote en ironisant sur les financements du terrorisme à l’époque de Ronald Reagan après les attaques du 11 Septembre. Certains hommes politiques s’en prendront publiquement aux strips, blancs ou noirs d’ailleurs pour les opinions exprimées.


Attention cependant, The Boondocks est un comic-strip tellement enraciné dans la culture américaine que les références sont nombreuses. L’édition française de Dargaud en 6 tomes entre 2003 et 2006 a fait le bon choix de ne pas chercher à franciser les références, ce qui aurait enlevé une bonne partie du sel du propos. Il y a ainsi un certain nombre de notes courtes et explicatives pour mieux comprendre l’emploi de tel nom, de tel organisation, de tel film etc. dans les cases. Mais avec notre recul d’européen il faut aussi accepter que certains gags fonctionneront moins bien en allant lire une note explicative. D’un autre côté, cela permet aussi d’apprendre quelques nouvelles références politiques, culturelles et sociétales américaines.


The Boondocks m’avait fait forte impression quand je les avais lus jeune adolescent dans la bibliothèque de ma petite ville un peu perdue mais ravissante, Langres. A l’époque j’étais assez loin de toutes ces préoccupations sociétales mais j’étais impressionné par le mordant de cette bande dessinée au ton presque froid -on y parle beaucoup- mais à l’ironie cinglante.


Près de 20 ans après j’ai pu remettre la main sur les deux premiers tomes et le cinquième (la série n’ayant pas été réeditée). Et malgré son âge la BD n’a pas si mal vieilli, évoquant ainsi magouilles des politiques, brutalités policières (qui évoquent Rodney King, pas George Floyd) et récupérations culturelles. Bien sur, Black Lives Matter n’existait pas encore, mais ce cri de colère afroaméricain était déjà dans The Boondocks, derrière son humour cinglant et désabusé. Et même si Aaron McGruder n’est pas tendre avec un certain militantisme ou avec les compromissions de certains, son œuvre reste tout de même importante pour tout ce qu’elle exprime en creux. Pour tous les « je suis pas raciste mais » et autres détracteurs parfois absurdes de BLM, une petite lecture de The Boondocks ne leur ferait pas de mal. Elle est d’ailleurs vivement conseillée à tout le monde, pour un strip majeur et phare du XXième siècle mais un peu oublié depuis, même si la BD a eu droit à une adaptation en dessin animé des mains de son créateur.

SimplySmackkk
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le 11 oct. 2022

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