Ranma 1/2
7.1
Ranma 1/2

Manga de Rumiko Takahashi (1987)

Si d'entrée de jeu il est question d'autodafé, c'est que ma soif de découvertes dignes de ce nom ne fut guère étanchée. J'aurais eu beau me lancer avec l'esprit ouvert, retrouver une âme d'enfant enfouie sous quelques kilotonnes de cynisme pur, rien n'y a fait. Jean-Pierre Coffe aurait su trouver les mots justes pour synthétiser mon ressenti. M'interdisant toutefois d'être vulgaire, je m'abstiendrai de comparer Ranma 1/2 à une déjection quelconque. L'envie y est pourtant.


Autrefois, on désignait le libre-penseur par sa disposition à s'être émancipé des dogmes religieux afin de penser par-delà le carcan de la foi, offrant quelques possibilités de réflexion jusqu'à lors interdites et inédites. Actualisé à notre ère, le libre-penseur est celui qui sait penser le manga par-delà le club Dorothée. Et moi, Dorothée, je l'emmerde copieusement.
Né en 1993, j'ai échappé de justesse aux tristes facéties d'AB Productions. Jusqu'à un jour récent - en vu de préparer cette critique - jamais je ne m'étais penché sur le cas Ranma 1/2. Lorsque des rétrospectives de la génération Dorothée (pauvres gosses) me parvenaient, le cas Ranma 1/2 était sans cesse accolé à celui de Dragon Ball Z parmi les séries d'animation phares de l'époque. C'est dire si la série bénéficiait d'un sacré prestige. Glénat eut le nez fin et ne manqua pas d'importer les deux mangas sous la férule de son auguste édition (la qualité du papier était à chier et se détachait sans arrêt de la reliure). Pour autant, en France, la postérité maintint Dragon Ball sur son pinacle. Ranma 1/2 ? Lui aussi trônait. Au sommet des poubelles de l'édition manga.


Permettez que je titille davantage l'ire de mes aînés en profanant ce qui leur est le plus cher. AB Productions, loin de cette image de précurseur du manga en France (dont l'origine se retrace en réalité dans l'importation du film Akira de Katsuhiro Otomo) a en réalité constitué son bourreau le mieux désigné. Le père Azoulay et ses comparses se sont simplement contentés de piocher à la va-vite dans l'animation japonaise parce que ça ne coûtait pas un rond pour importer des séries toute-faite. L'objectif n'était certainement pas culturel, mais de nature purement pécuniaire.
Cela occasionna quelques dérapages malencontreux, comme le fait d'importer Hokutô no Ken largement déconseillé aux moins de seize ans.... pour un public de trois à dix ans. Car non content de mépriser - et j'insiste sur le mot «mépriser» - le genre, AB Productions se contentait de piocher au hasard tout ce qui lui passait sous la main pour le balancer à son public comme un steak faisandé à des chiens galeux. Le hasard a davantage joué que la notoriété dans la distribution de Ranma 1/2 et de toutes les autres créations de Rumiko Takahashi en France. Tenons-le-nous pour dit.


Ranma 1/2 fut l'un des pires ambassadeurs du genre manga en France. Sans parler de maison Ikkoku (Juliette je t'aime). Débilitant : l'adjectif s'est immédiatement rappelé à moi alors que j'arpentais les chapitres. Comment vouliez-vous que les parents adhèrent à ça ? Comment vouliez-vous qu'ils ne méprisent pas ce qui était éminemment méprisable ?
Des aventures courtes et redondantes, des gags ras des pâquerettes et répétitifs à outrance (ôtez le principe des sources qui donnent des alias aux personnages et il ne reste rien) et même de l'ecchi modéré. Dragon Ball Z fut haï pour sa violence, mais cette dernière ne manquait pas d'une certaine allure. Les combats dans Ranma 1/2 sont en dessous de tout, accordés au lecteur sans le moindre effort de mise en scène. L'action fait somnoler et l'humour laisse de marbre pour peu qu'on ait plus de sept ans. C'est donc ça le chef d'œuvre d'enfance d'une partie de la génération qui m'a précédée ? Plus jamais vous ne m'entendrez dire «C'était mieux avant».


Publié comme Shônen, Ranma 1/2 souffre en plus d'avoir été créé par une femme. Moi, les femmes dans le Shônen, depuis Reborn, je dis «Non». Car progestérone oblige, les amourettes tapisseront tout le fil du récit. Ce n'est pas un triangle amoureux auquel nous serons confrontés mais par un octogone où chaque coin est relié aux autres. Usant : c'est le mot juste. Lourdingue, aussi.
Des gamineries, donc. Et encore, pas de celles qui aident les enfants à s'épanouir - car soyons francs, le manga n'est pas destiné aux lecteurs excédant les dix-douze ans - plutôt du genre à les abrutir à moindre frais. Ça ne stimule pas l'imagination car rien n'est vraiment innovant, ça n'offre rien de réellement solide et construit que ce soit au niveau des personnages ou de l'intrigue qui n'est qu'une accumulation d'histoires courtes gentillettes et gnangnantes, ça ne sert à rien, pas même à distraire.


Même un gosse simplet finit par saisir les tenants et aboutissants de la ritournelle en jeu. À un moment, de l'eau froide va tomber sur Ranma et créer une situation de malentendu. Au mieux, on peut dire que l'œuvre permet d'instiller un réflexe pavlovien chez le lecteur. Des steaks faisandés à des chiens galeux... je n'étais pas loin.


Une patte graphique pour sauver les meubles ? Même pas. C'est ultra minimaliste et plus par incapacité de savoir dessiner convenablement que pour surligner le trait enfantin du manga. Il suffit de lire les autres mangas de la mère Takahashi pour s'en rendre compte. Le beau, pour elle, c'est déjà l'horizon, alors le sublime...


La fin est très vite expédiée - on sent bien que rien n'a été réfléchi et que les histoires s'improvisaient les unes derrière les autres - le mariage s'apprête à avoir lieu mais il est repoussé pour un court temps. Bref, le statu quo dans la permanence, l'immobilisme dans le cyclique : la course effrénée vers la voie sans issue.
Ne rien espérer de Ranma 1/2, c'est déjà en attendre beaucoup. À ne remettre entre aucunes mains, surtout pas celles des plus jeunes, vous ne leur rendriez pas service. Pour une initiation au manga à destination de la petite jeunesse, privilégiez quelque chose de plus audacieux et original, tentez Gon, songez Détective Conan, mais de grâce, ne touchez pas à ça.

Josselin-B
2
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le 3 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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