Ce tome fait suite à Menace sur Apollo qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il est paru pour la première fois en 2014. Il s'agit d'une bande dessinée de 46 planches, écrite par Philippe Geluck, dessinée et encrée par Devig (Christophe de Viguerie), et mise en couleurs par Camille Paganotto.


L'histoire commence à Neuilly le 13 mai 1968. Scott Leblanc est en train d'interviewer Charles Aznavour, en lui posant des questions sur son animal de compagnie Spooki. À la fin de l'entretien, Scott est amené à évoquer sa mère, et son père qu'il n'a jamais connu. Il rentre à Paris en voiture. À Paris, boulevard Saint Michel, Dimitri Moleskine se rend au bar tabac de Claude, pour aller s'acheter ses cigarettes de marque Virginia's dream. Avant de pénétrer dans le magasin, il félicite les CRS qu'il voit passer, en train de courser des jeunes émeutiers, les remerciant de maintenir l'ordre contre ces beatniks. À la sortie, il est bousculé par un groupe d'étudiants, et il en perd sa cartouche de cigarettes dans le tumulte.


Le professeur Moleskine se réfugie dans l'immeuble le plus proche, et découvre avec stupeur qu'il s'agit des bureaux de la rédaction du magazine Bien en Vue. Pour son plus grand déplaisir, Scott Leblanc est justement présent, et l'accueille à bras ouverts. Avant de ramener le professeur Moleskine chez lui en voiture, Scott Leblanc l'emmène chez lui, où il le présente à sa mère. Moleskine y croise monsieur Lé (un vietnamien, louant une chambre à madame Leblanc) qui s'en va donner une conférence au Centre Kléber. Monsieur Lé a oublié sa sacoche. Leblanc et Moleskine s'empressent de lui apporter au Centre de conférences, mais monsieur Lé a été abattu de 2 balles et est en train de rendre l'âme sur le trottoir, aux pieds des badauds.


Dans le précédent tome, Philippe Geluck avait commencé à plus laisser s'exprimer la personnalité de Dimitri Moleskine et à figer la personnalité de Scott Leblanc. Ce dernier apparaissait comme un individu naïf, un peu niais, pas très conscient des réalités de la vie. Le lecteur retrouve cette caractéristique dans son entretien avec Charles Aznavour qui ne porte que sur son animal familier. Il est un peu surpris d'apprendre des éléments de la vie personnelle de Leblanc. Il se souvient également que Dimitri Moleskine est un personnage conservateur, avec une forme de condescendance pour les autres. Le scénariste a décidé de continuer dans cette veine, ce qui donne une entrée en matière sarcastique et drôle. Le lecteur sourit en voyant Moleskine encourager les CRS à taper sur les jeunes beatniks. Il est tout aussi déconcerté d'en apprendre plus sur son passé. Visiblement, l'auteur a décidé d'en dire plus sur ses personnages, avec madame Leblanc (la mère de Scott), et un amour passé de Moleskine au Vietnam. Sans aller jusqu'à l'étude mœurs ou l'étude de caractère, cela donne un peu plus d'épaisseur aux 2 personnages principaux. La forte présence de la mère de Scott montre qu'il n'a pas encore complètement coupé le cordon ombilical et qu'elle continue de le protéger de quelques réalités de la vie. Le séjour de Dimitri Moleskine à Saigon (aujourd'hui Hô-Chi-Minh-Ville au Viêt Nam) explique les relents colonialistes de son discours.


Comme dans les tomes précédents, le lecteur ressent la fibre d'hommage qui court dans ce troisième tome. Scott Leblanc évoque un double déformé de Tintin, moins courageux, moins astucieux, plus frivole. Dimitri Moleskine évoque le capitaine Haddock, en moins colérique, plus posé, plus conservateur. Le passage au Viêt Nam résonne comme un écho des aventures de Tintin dans Le Lotus Bleu (Scott Leblanc en découvre un exemplaire en vietnamien dans la maison de monsieur Lé à Saigon), mais dans un autre pays asiatique, avec plus de pertinence politique pour la fin des années 1960. D'une certaine manière, madame Leblanc évoque Bianca Castafiore, en moins flamboyante et plus femme au foyer. À plusieurs reprises, une case s'attarde sur un modèle de voiture, ce qui évoque également celles qui parsèment les œuvres d'Hergé. Mais les auteurs ne réalisent pas un décalque des aventures de Tintin, ce tome pouvant se lire en ignorant ces formes d'hommage.


Après les 2 premiers tomes, le lecteur ne sait plus trop à quoi s'attendre en termes d'histoire, par contre, il sait qu'il va retrouver les dessins de type ligne claire de Devig. Comme dans les tomes précédents, les visages des personnages sont simplifiés : souvent un point pour chaque œil, parfois un cercle blanc (sans pupille, ni iris), souvent un trait incurvé pour la bouche (parfois une zone blanche sans détail des dents), des coupes de cheveux à la forme particulière, mais sans chercher à donner l'impression de la texture des cheveux (à l'exception de la chevelure du journaliste Vincent Vandeneuvel). Les traits de contour nets et réguliers suffisent pour délimiter et représenter les différentes tenues vestimentaires : costume et cravate en toute circonstance pour Scott et Dimitri, et pour la plupart des personnages masculins, robe ample pour madame Leblanc, et jupes pour les rares personnages féminins. Seuls les soldats arborent un uniforme militaire qui déroge au costume et il y a quelques chemises avec un col ouvert pour le buraliste et les reporters à Saigon. Suite à un piétinement dans un égout à ciel ouvert, Scott Leblanc revêt, le temps de 2 pages, une tunique vietnamienne.


Le lecteur apprécie l'investissement de l'artiste pour rendre authentique la reconstitution historique. Le lecteur identifie immédiatement la fourgonnette Citroën Type H, en couverture. Les rues de Paris sont encadrées par des façades d'immeubles haussmanniens et les rues de Saigon sont conformes aux photographies d'époque. Le lecteur peut également prendre le temps de détailler les meubles et les accessoires de décorations, tous d'époque et vintage : les tapis, les modèles de chaise et de fauteuil, la pendulette sur le manteau de la cheminée dans l'appartement de madame Leblanc, la table basse. Il remarque que la mise en couleurs de Camille Paganotto respecte les codes de la ligne claire, avec des aplats de couleurs unis, et une fonction essentiellement utilitaire qui est de rendre compte de la couleur de chaque élément, et d'augmenter le contraste entre chaque surface. Le lecteur note qu'elle utilise des teintes un peu plus sombres que celles des albums d'Hergé, ce qui est cohérent avec une tonalité un peu plus adulte. La narration visuelle décrit une réalité épurée, facile à assimiler, mais comprenant un bon niveau de détails, ce qui assure une bonne qualité de la reconstitution historique.


L'histoire place d'abord le lecteur dans les événements de mai 1968, avec la contestation estudiantine, mais très vite le récit prend une autre direction, évoquant rapidement des souvenirs de l'Indochine Française (mais sans la nommer), puis la guerre du Viêt Nam et l'utilisation de l'Agent Orange. De ce point de vue, le scénariste reste fidèle au parti pris des 2 tomes précédents qui est de situer l'aventure dans un contexte historique réel. Néanmoins cette évocation historique et politique évoque des événements passés et révolus, ce qui n'était pas le cas des aventures de Tintin. En outre, le traitement du sujet de fond reste très superficiel, sans analyse ou reconstitution fouillée. Du coup, il s'agit plus d'un récit d'aventures classiques, avec des rebondissements, des énigmes plus ou moins réalistes et des moments humoristiques. En choisissant de découper le récit en 2 parties de longueur égale, l'une à Paris, l'autre à Saigon, l'auteur diminue d'autant la pagination allouée pour développer l'une ou l'autre.


Le lecteur s'amuse aux remarques conservatrices du professeur Moleskine, ainsi qu'à la naïveté de Scott Leblanc, mais ça ne suffit pas pour en faire des personnages dans lesquels il est possible de se projeter au point d'en éprouver de l'empathie. Il en va de même pour les personnages secondaires, qu'il s'agisse de la mère de Scott, ou du journaliste Vandeneuvel, a priori prometteur, mais vite oublié. Même le jeune Kim (le fils d'Anh) reste à l'état de dispositif narratif, sans grande épaisseur, malgré l'explication de sa motivation en fin de volume. La lecture reste très plaisante du fait des touches d'humour, parfois gentille, parfois vieille France, parfois sarcastiques. Geluck s'amuse bien avec l'impossibilité pour Moleskine d'obtenir une cigarette dans la première moitié, mais ce gag récurrent est abandonné en cours de route, sans bénéficier d'une forme de clôture. Dans la deuxième partie, le scénariste fait en sorte que Scott Leblanc dispose d'un animal de compagnie (original, et cohérent avec la région du monde visitée). Au vu du sort des précédents, le lecteur se doute bien qu'il finira mal. Le gag arrive, mais de manière fortuite en 3 cases, sur un rythme pataud, comme si Geluck s'acquittait de son obligation, sans beaucoup de conviction. Finalement, le lecteur apprécie plus le comique de répétition relatif au guignolet de Tante Nicole, une liqueur originaire d'Anjou à base de cerises aigres et noires.


Ce troisième tome prend une orientation un peu plus historique que les 2 précédents, sans vraiment creuser le thème de l'occupation du Viêt Nam, ou de l'Indochine précédemment. Les dessins de Devig continuent de s'améliorer avec des personnages plus naturels, et des environnements plus détaillés, tout en restant dans la ligne claire. La lecture s'avère plaisante et amusante, sans passer dans la catégorie indispensable.

Presence
7
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le 20 mars 2019

Critique lue 97 fois

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