Le scénariste Warren Ellis est habitué à rester très peu de temps sur les séries Marvel où il passe, et c'était déjà le cas dans les années 90. Et déjà à l'époque, il fait ce qu'il fera maintes fois ensuite, à savoir prendre un héros, le dépoussiérer, le moderniser, ajouter une dose d'humour noir anglais, et le propulser vers un nouveau statut-quo, comme il a pu le faire par la suite avec Iron Man bien entendu, ou Moon Knight. Ou même avec Karnak. Ou encore les Thunderbolts, avec le même Mike Deodato jr. pour l'accompagner.


Mais là où ses runs de réinvention récents marchent très biens en tant qu'histoires complètes, j'ai trouvé ce run de Thor plus bancal si on le considère tout seul. Je n'ai pas lu ce qui se passait avant ou après, mais en feuilletant vite fait, on devine que ce run marche surtout comme une grosse rupture de ton autant graphique que narrative avec le run de Roy Thomas qui avait lieu avant, et sert surtout à réinventer le héros et installer un nouveau statut-quo pour la série qui sera ensuite écrite par Messner-Loebs, mais où Deodato jr. continuera d'être aux dessins.


Découvrir cette histoire aujourd'hui n'est pas évident, vu qu'elle est située entre deux époques du personnages qui sont totalement tombées dans l'oubli, et le récit lui-même accuse son âge, notamment graphiquement, vu que Deodato jr. a un style très 90's, notamment dans sa façon de dessiner l'Enchanteresse, où il tombe dans tous les écueils de l'époque, en lui faisant des jambes de 3 km de long, des postures peu naturelles et cherchant surtout à la dessiner en permanence de manière sexy jusqu'à l'absurde. Et bien entendu les dessins sont accompagnés par les débuts maladroits de la colo informatique de l'époque (et à noter que c'est Marie Javins, la toute nouvelle éditrice en chef de chez DC Comics, qui s'occupe de la colo !).


J'ai toutefois trouvé le début de l'histoire hyper efficace : On débarque sur un Thor mourant, cherchant à savoir ce qui provoque cette lente agonie, et il est à nouveau exilé sur Midgard. C'est sombre, crépusculaire et c'est plutôt saisissant. Odin est plus impressionnant que jamais, avec une esthétique assez "metal", Thor au bout de sa vie affronte des cadavres vikings cyborgs et pendant ce temps Yggdrasil, l'arbre au centre de la mythologie nordique, est entouré de machines futuristes et semble saigner.


J'ai trouvé ça assez saisissant. Mais après ce début ça se perd un peu. Déjà parce que beaucoup d'éléments n'aboutissent pas à grand chose. Thor n'est plus mourant très rapidement et on nous ramène un perso de flic avec pleins de pages pour le présenter, où Ellis nous sort son perso type à la Spider-Jerusalem de Transmetropolitan, qui est grosso-modo Ellis lui-même avec un tempérament de gros connard cynique associable et pas vraiment sympathique, particulièrement ici, mais finalement il ne sert à faire que de l'exposition pour redéfinir la mythologie asgardienne de Thor, et il n'aura aucune influence au final sur l'histoire avant qu'Ellis ne l'évacue de manière malpropre, empêchant même de faire du perso un personnage secondaire pour la suite de la série. Et pareil pour l'Enchanteresse, qui voit sa relation avec Thor évoluer. Pourquoi pas, mais j'ai eu l'impression que c'était un peu gratuit et que ça n'aboutissait pas à grand chose d'intéressant. Elle accède à son nouveau rôle dans le 2e numéro, et après Ellis n'a hélas plus rien à raconter avec le personnage, c'est dommage.


Par contre, j'ai bien aimé le mélange d'élément de science-fiction cyberpunk transhumaniste assez sombre avec la mythologie nordique. Dessiné avec le trait de Deodato jr. ça marche très bien, et on a pas mal de visuels autour d'Yggdrasil très réussi, en particulier quand on a des bébés qui poussent de l'arbre mythologique qui à l'air à la fois mourant et cyborg. Même si l'histoire globale est assez anecdotique, elle a pas mal de bonnes idées et concepts. Quant au vilain, il est dans un style qu'Ellis réutilisera plusieurs fois par la suite, se révélant à la toute fin, étant assez pouilleux, et mélangeant pleins d'idées beaucoup trop extrêmes. Par exemple, avait-on vraiment besoin d'en faire un cannibale qui a mangé sa femme ? Comme souvent avec les scénaristes anglais qui ont émergés à cette époque (Ellis, Millar, Morrison...) on a le droit au meilleur et au pire de l'irrévérence dans leur écriture, et dans ce récit on a plus souvent le droit au pire.


Globalement c'est un récit qui est un plongeon complet de Thor dans le style "Extrême" Grim & Gritty de l'époque, avec un style faussement mature, sombre, avec du sexe suggéré et de la violence, bien éloigné des histoires classiques du dieu du tonnerre. Et c'est assez inégal. A noter aussi que Thor troque son costume catastrophique et ridicule de l'époque pour un costume qui n'est pas beaucoup mieux puisqu'il s'agit juste de Thor torse nu dans un pantalon noir et ses très longs cheveux blonds au vent. On aura vu plus inspiré.


Bref, c'était vraiment pas un récit désagréable à lire : la narration est fluide, y a une ambiance forte, un petite mystère qui tiens en haleine, de bonnes idées et des concepts intéressants ainsi que quelques visuels réussis de la part de Deodato jr. En outre c'est intéressant de voir les deux artistes à leur débuts et de voir les motifs récurrents de leurs œuvres qui sont déjà là. Mais voilà, ce n'est pas non plus génial. Pris tout seul, c'est plus une curiosité pour les complétistes de l'œuvre d'Ellis et de Deodato jr. qu'un récit qui vaut réellement le détour. Je pense que ça doit être plus intéressant de lire ce récit en ayant lu ce qui s'est passé juste avant, et en voyant ce que le scénariste suivant à fait des propositions de Warren Ellis. Même si je n'ai pas l'impression que les runs qui entourent celui-ci aient une incroyable réputation non plus. Donc c'est peut-être toute une période du dieu du tonnerre à oublier, ce récit y compris.

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le 15 nov. 2020

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arnonaud

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