Ce tome fait suite à Trio qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les 4 épisodes de "Triple Helix", initialement parus en 2013/2014, écrits, dessinés et encrés par John Byrne, mis en couleurs par Leonard O'Grady.
L'histoire commence juste après la fin de "Trio". Rock découvre qu'il fait face à 3 membres de Triple Helix : Cataclysm, Apex et Javelin. Ces derniers ne le reconnaissent pas et l'attaquent. Il n'arrive pas à s'exprimer de manière intelligible. Après une échauffourée complexe, Liz Lanning finit à l'hôpital, Golgotha (le supercriminel nazi) finit à la morgue. Alors que les 2 équipes sont réunies et se sont comprises, une équipe de robots (les Monitors) apparaît. Leur objectif : annihiler tous les "changelings". Ils sont commandés à distance par le Docteur Marshall, grâce à un casque cybernétique.
Pour commencer, le lecteur éprouve une grande satisfaction à pouvoir lire la suite de l'histoire consacrée à "Trio" qui s'était arrêtée abruptement au bout de 4 épisodes, en pleine situation conflictuelle non résolue. Ensuite, il est un peu déconcertant de voir que les membres de Trio laissent le devant de la scène à ceux de Triple Helix. En cours de route, il s'en faut de peu que ces derniers ne soient aux aussi obligés de reculer d'un rang pour laisser la place à encore un autre groupe : le Conclave.
De page en page, le lecteur constate que Byrne utilise une narration se reposant sur les conventions des comics des années 1980, à commencer par des réactions émotionnelles exacerbées pour l'ensemble des personnages, tout est dramatique, pris au premier degré, sur le plan affectif. Ensuite, les deux tiers des personnages sont dessinés avec une bouche ouverte, pour des expressions du visage manquant de nuance. Le lecteur éprouve donc la sensation que Byrne narre un récit à la manière de John Byrne des années 1980, s'inspirant lui-même de Stan Lee et Jack Kirby des années 1960.
Cette impression se renforce quand John Byrne établit des parallèles explicites entre ses héros et les modèles dont ils s'inspirent. Voyons voir : des superhéros en costume à dominante bleu foncé, qualifié de Changeling (mutant), avec un chef arborant une visière rouge (Cyclops), et un autre ayant une morphologie proche de celle du gorille (Beast). Voyons voir : le Conclave comprenant en son sein Emerald une sorcière (Scarlet Witch), Stronghold en homme en armure ou un robot (Iron Man), Longbow un archer (Hawkeye), Silver Shadow un androïde distant (Vision). Cela évoque une équipe de superhéros bien connue de Marvel : The Avengers. Quand Triple Helix affronte un groupe de robots chargés d'éliminer les Changelings, il ne fait plus aucun doute sur le fait que les Sentinels s'apprêtent à éliminer les X-Men.
Ce n'est pas la première fois que John Byrne souhaite rendre hommage à une époque ou à des créateurs, cela même a été sa marque de fabrique sur plusieurs séries, que de ramener les personnages qui lui ont été confiés à leurs origines, ou en tout cas à l'esprit d'origine établi par leurs créateurs originaux. Il avait même réalisé une série des X-Men avec l'objectif affiché de rendre hommage aux épisodes réalisés par Neal Adams : The hidden years. Simplement ici, il donne l'impression de se rendre hommage à lui-même, ou alors de vouloir retrouver la veine des comics qu'il réalisait dans les années 1980, ce que lui réclament de nombreux lecteurs de comics en estimant qu'il était alors au summum de sa force créative. La composition même de la narration rappelle également la structure de ses Next Men.
En ayant conscience de la nature de ce récit, le lecteur peut alors l'apprécier pour ce qu'il est. Pour commencer, malgré les similitudes voulues et conscientes, il s'agit bien d'un récit original, et non d'une fade décalque. Le savoir faire de Byrne lui permet de rendre chaque personnage spécifique en quelques cases, de l'éloigner de son modèle pour le rendre unique, de Pylon (un homme avec une peau de métal, comme Colossus) à Grand Designer (un géant dans une sorte d'armure, High Evolutionnary). Ensuite Byrne traite son récit au premier degré, sans mépris ou condescendance pour ses personnages ou son intrigue. Il ne s'agit pas d'une parodie, mais bien d'une aventure de superhéros. Par ailleurs, il a conçu une intrigue rapide et dense, il n'y a pas de décompression. Le lecteur familier de la carrière de Byrne repère facilement ces autocitations. Pour le lecteur novice, la rapidité du récit procure un niveau de divertissement élevé qui ne peut que lui donner envie d'en lire plus.
D'un point de vue visuel, John Byrne est un peu en dessous de "Trio" pour les décors et les arrières plans. Il fait montre d'une incroyable maîtrise dans toutes les solutions permettant de s'en affranchir sans donner l'impression de personnages évoluant sur une scène vide (du gros plan, aux manifestations de superpouvoirs envahissante, en passant par le gros lettrage des effets sonores. Par contre il a retrouvé son plus haut niveau pour les mouvements des personnages, la fluidité des déplacements, l'expression évidente et merveilleuse des superpouvoirs, les apparences de personnages immédiatement intrigants et mystérieux (la forme qui apparaît à Cheryl Cooley).
Malgré les béquilles narratives datées (personnages se parlant à eux-mêmes et à haute voix pour expliquer la situation), chaque scène présente une forte tension narrative, avec une succession de cadrages qui imprime un rythme remarquable à la lecture, sans aucun temps mort, sans sensation d'immobilisme, et sans en devenir saccadé ou épileptique. C'est très impressionnant de se rendre compte comment Byrne met en scène autant de personnages, sans qu'ils ne se marchent jamais sur les pieds, sans que le lecteur n'éprouve la sensation de fouillis dans les cases.
Même si le lecteur n'est pas sensible à cette étrange de forme de nostalgie où Byrne rend hommage à ses propres travaux (tout en faisant des clins d'œil aux créateurs des séries fondatrices du genre, Liz Lanning fait une apparition, évoquant le LL de Lois Lane), il ne peut qu'être bluffé par Paper, une femme en 2 dimensions dont le corps a les propriétés du papier. Il y a cette mise en abîme : une héroïne de papier dans un comics de papier. Il y a aussi cette utilisation perspicace et intelligente des propriétés du papier, transformant un concept débile (un personnage de papier), en une superhéroïne crédible dans le cadre d'un comics, une belle réussite surréaliste.
Malheureusement ce récit se termine également sur une situation conflictuelle non résolue. Il ne reste qu'à espérer que John Byrne y donne une suite.
De prime abord, Triple Helix semble réservé aux lecteurs nostalgiques des comics de John Byrne des années 1980. Néanmoins Byrne ne s'autoparodie pas et ne fait pas preuve de gâtisme. Il réalise un récit premier degré vif et nerveux où chaque case compte, avec des superhéros intrigants et originaux. Il intègre les conventions des comics de superhéros de type Marvel comme il le faisait dans les années 1980, en y adjoignant un peu de Next Men, pour un comics à l'ancienne, on peut même dire à la John Byrne, avec quelques moments exceptionnels (vivement une minisérie dédiée à Paper).