Dans le monde de la bande dessinée, Gess est principalement connu pour avoir donné vie, graphiquement parlant, au personnage de Carmen Mc Callum et à ses aventures de mercenaire de 1995 à 2007 sur 8 tomes. Vint ensuite deux séries, La Brigade Chimérique et L'Oeil de la Nuit en collaboration avec le scénariste Serge Lehman. Pour sa nouvelle série, les récits des contes de la Pieuvre, Gess innove en signant à la fois le dessin et le scénario. Le premier tome, La Malédiction de Gustave Babel, plante le décor : Paris et ses faubourgs, sa pègre et sa misère entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Une ambiance poisseuse et violente, que le lecteur continuera d'explorer dans le second récit, Un destin de trouveur.


En comparaison du premier opus, Un destin de trouveur gagne en clarté dans la construction de l'intrigue et dans l'utilisation du registre fantastique. Un registre fantastique qui tire son épingle du jeu, car mêlé de façon originale avec l'intrigue policière en s'ancrant dans l'histoire au point de devenir presque rationnel.


L'inspecteur Émile Farges, surnommé Trouveur, possède un don. Celui de trouver n'importe qui grâce à une petite pierre qui, lorsqu'il la lance sur un plan, se positionne précisément sur le lieu où se trouve la cible. Très utile lorsque l'on est dans la police, mais aussi lorsque la femme et la fille du chef d'une puissante organisation criminelle, appelée symboliquement la Pieuvre (pieuvre que l'on retrouve en arrière-plan sur la couverture), sont enlevées. Mandaté, sous la contrainte, pour les retrouver, Trouveur ne va cependant pas être un agneau docile comme l'entendait les malfrats de la Pieuvre.


Abordant de nombreux thèmes contemporains, Gess ancre intelligemment et avec subtilité son récit du XIXe siècle dans notre présent. On retrouve la lutte contre la violence faite aux femmes, représentée par les Sœurs de l’Ubiquité, ce groupe de femmes traquant les hommes ayant agressé une fille, que ce soit une sœur, une voisine ou une amie. Il y a également tout le volet de prise de conscience sociale où les miséreux, désirant une justice équitable, se serrent les coudes au besoin. Pour donner plus de poids à l'engagement social de ses personnages, l'auteur met à l'honneur J.J. Rousseau en ponctuant son récit d'une dizaine de planches composées de la manière suivante : une illustration en lien avec l'histoire et une citation du philosophe tirée de ses divers écrits.


Le format d'Un destin de trouveur donne l'impression de découvrir un antique bouquin vieux de plus d'un siècle avec ses pages tachetées comme si elles avaient été dégradées par une forte humidité. Bénéficiant d'un dos toilé et d'une couverture à vernis sélectif, le livre possède une esthétique que peu de BD peuvent se targuer de posséder. Concernant la mise en page des planches, le parti pris de Gess a été d'avoir de petites cases, très compactes et aux contours sinueux, ce qui donne forme au côté mystérieux et oppressant de cette enquête. Quant au trait de Gess, si caractéristique, il donne vie à des personnages semblant sortis tout droit de l'imaginaire populaire d'un Zola et s'épanouit dans le fourmillement de détails des nombreux décors.


Ce deuxième récit des contes de la Pieuvre est une pépite qui parvient à tirer son épingle du jeu en cette année où la production de BD devrait à nouveau dépasser la barre des cinq mille sorties. Un destin de trouveur est un conte social et fantastique de plus de deux cent pages à découvrir de toute urgence, que ce soient par les amateurs de la BD franco-belge, mais aussi les férus de romans graphiques.

Vincent-Ruozzi
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le 14 août 2019

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