Que Will survive

Saluons comme il se doit la doublement excellente initiative des éditions Dupuis qui publient enfin certaines histoires parues dans Spirou et inédites en albums.

Tout d’abord il est effectivement bien temps de s’intéresser à l’incroyable masse de trésors cachés que représente l’âge d’or de la célèbre revue de Marcinelle. Si certains d’entre vous ont déjà eu sous la main des exemplaires des années cinquante ou soixante (sans même parler de tout ce qui pourrait être sauvé des décennies précédentes) ils ont pu se rendre compte que Dupuis dormait non seulement sur ses lauriers mais aussi sur une vraie fortune en laissant à l’abandon des petits bijoux qui ne demandent qu’à sortir de leur écrins et dont certaines histoires de Gaston illustrées par Franquin ne sont que la partie la plus évidente de l’incroyable gâchis éditorial en la matière…

A cette heureuse et exceptionnelle action se rajoute le choix de l’heureux élu. 2012, pour les 85 ans de la naissance de Willy Maltaite, Dupuis nous offre 140 pages d’histoires courtes et complètes dessinées par la bonhomme au sein de la revue entre 1963 et 1997 (je ne comprends pas le titre de la fiche d’ailleurs, je ne vois pas trop comment ils pourraient faire un tome 2…). On retrouve les scénaristes habituels de Will que les amateurs de Tif et Tondu connaissent bien et aussi des petits nouveaux : Rosy, Vicq, Yann et Conrad, Desberg, le fiston Eric Maltaite et bien d’autres pour de petits récits parfois anecdotiques mais toujours rendus délicieusement par le pinceau du bonhomme et un vrai papier civilisé à l’ancienne qui ne salope pas tout le travail.

Will, vous connaissez forcément, c’est le type qui a repris la plus vieille série du journal, lorsque Fernand Dineur a fâché l’éditeur en travaillant pour une revue concurrente en 1948, ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché de continuer à pondre pendant quelques années les scénarios pour le jeune quasi-débutant d’à peine 21 ans…

En fait, ça fait tout de même quelques années que Will se promène autour de la revue, dès ses 15 ans, il est confié à Jijé pour étrenner la si particulière école du maître dans laquelle Franquin et Morris feront eux aussi assez vite leurs armes juste après la guerre, lorsque la petite troupe déménage à Waterloo (Moebius, par contre, ce sera quand même beaucoup trop tard pour l’y croiser…).

Chez Jijé, Will vit au sein même de la grande famille, il apprend d’ailleurs à peu près tout sauf la BD pour commencer, il s’essaie sculpteur, tailleur de pierre, peintre, graveur… histoire de faire ses classes… J’apprends d’ailleurs enfin dans la belle introduction de José-Louis Boquet pourquoi Will n’a pas fait partie du fameux voyage américain que Yann a raconté il y a peu dans un album et qui fait partie intégrante de la grande légende le la Bande Dessinée.

Will, bien entendu, c’est avant tout un des plus grand créateur de décors de la BD franco-Belge, tout le monde se souvient de ses îles désertes, comme dans la Poupée ridicule ou encore le premier Benoît Brisefer, il est aussi un infatigable créateur de mobilier et d’architectures ultra-modernes, comme les bureaux de Choc, certains délires fantaisistes de Tif et Tondu ou bien sûr la ville des Pirates du silence…

Will s’est enfin un type qui a malgré tout assez mal vécu sa carrière, s’emmerdant à dessiner son gros chauve et son gros barbu comme un petit employé à remplir ses livres de comptes, heureusement, sur la fin, il pu passer la main et se délecter avec la série Isabelle, grand n’importe quoi foireux et sympatoche avec Delporte, Macherot et Franquin comme co-délirants de luxe !

Les amateurs acharnés de cette chose étrange pourront d’ailleurs se réjouir de la présence dans cette anthologie de plusieurs histoires d’une veine proche qui pourraient faire plus facilement leur bonheur que le mien…

Mais sinon, ce serait pas mal que Dupuis poursuive cette tentative avec tous les autres petits génies de la grande époque !... A mes yeux, ne pas publier une page inédite de Tillieux, Morris, Franquin, Roba, Macherot ou Peyo est une faute impardonnable à réparer dès que possible, surtout si c’est avec la même qualité que ce joli album-ci ou que la très belle série Tout Jijé dont j’ai déjà dû vous parler quelque part....