Un album visionnaire et à contre-courant de l'époque

A l'Ombre des Derricks est un album tout à fait intéressant pour compléter la connaissance de l'univers et la complexité du personnage, avant d'être un classique d'humour ou d'aventure.
Ce qu'on peut en retenir c'est le caractère écolo et visionnaire de ce tome 18 paru en 1962. Car il est question de fortement relativiser, à travers les yeux de Lucky Luke et de nombreux autres personnages, de l'engouement autour du pétrole, autrement dit de cette ruée vers l'or noir.
En planche 5 d'un regard interrogatif sur le ciel exagérément pollué par les derricks, le dialogue avec Jolly Jumper :

• Lucky Luke : Voila le théâtre de nos futurs exploits Jolly Jumper...


• Jolly Jumper : Et c'est pour ça que nous avons quitté les vertes prairies de l'Ouest ?!!...

Ou encore sur la case finale, planche 44, sur un fond de pollution visuelle et olfactive...

• Lucky Luke : Un dernier regard, mon vieux Jolly Jumper...


• Jolly Jumper : Pouah !...


• Lucky Luke : Et à nous le Texas, où il n'y a pas de pétrole!...


• Jolly Jumper : Cravachons ! Cravachons

Or Lucky Luke n'est pas un personnage conservateur : il mène la construction du chemin de fer dans Des Rails sur la prairie, prend plutôt le partie et la défense des fermiers dans Des barbelés dans la prairie, accompagne l'expérimentation de nouvelles méthodes de réinsertion dans Les Dalton se rachètent ou encore La guérison des Dalton.

Tout ceci montre qu'il ne refuse pas le changement et a un esprit critique aiguisé sur des évolutions qu'il juge ne pas aller dans le bon sens. Et c'est tout à fait intéressant de la part des auteurs de montrer un aspect critique du pétrole (qui fait perdre la raison des prospecteurs, pollue le sol, le ciel, les narines, le paysage,...) à une époque où cette ressource est vue comme un levier de développement important. Les années 1960 et 1970 étant les années du tout automobile notamment, et rares sont les voix qui s'élèvent contre.

En faisant voyager le cow-boy loin de ses terres habituelles vers la Pennsylvanie, les auteurs nous amènent sur un terrain nouveau mais dont ils n'ont pas voulu mettre en avant l'esthétique des paysages comme dans La caravane ou En remontant le Mississippi mais bien le fond du message.

La petite histoire elle passe plutôt au second plan, avec une intrigue assez pauvre, un humour moins percutant que d'autres albums de l'époque et les personnages sont assez mineurs. C'est finalement assez dommage car avec un tel background, pour un album qui a finalement très bien vieillit, il y avait matière à faire mieux.