Classique et atypique à la fois

Un album classique par l'emploi du héros qui ressemble beaucoup a ceux qu'il occupe dans les albums de la même période, mais assez différent par l'atmosphère assez pessimiste qui se dégage de l'histoire.

Titre : À l'ombre des derricks

Série : Lucky Luke

Auteur : Morris et Goscinny

1ère publication : Spirou 1960
Publication album : Dupuis 1962

Image de la Justice :

L'épisode s'organise dramatiquement autour de 2 séquences de procès.
Le premier procès sanctionne la déliquescence de l'organisation sociale. Alors que Lucky Luke sauve un voleur de baril d'un lynchage (Pl. 12) pour qu'il soit jugé au tribunal, le procès tourne à la mascarade. Le juge accepte de mauvaise grâce d'ouvrir l'audience (Pl. 13), il utilise une pioche de prospecteur à la place de son marteau (Pl. 13 3/1) et le procès tourne court quand on annonce au juge que son puits de pétrole jaillit à flot, il saute de joie par-dessus son estrade et part en entrainant toute la salle, y compris l'accusé, derrière lui. La séquence se conclut par l'apparition de Barry Blunt qui annonce à Lucky Luke son intention de prendre le contrôle de la ville (il ponctue son discours en posant la main sur la crosse de son révolver) (Pl 13 4/2). La ville de Titusville passe de l'anarchie à la dictature sous l'action de Barry Blunt et de sa bande. Le redressement viendra de Lucky Luke allié au Colonel Drake qui réussissent à arrêter Barry Blunt et à restaurer l'autorité judiciaire. Restauration qui s'exécute au prix d'arrangement avec la légalité. Lucky Luke persuade Pingle de provoquer Barry Blunt au prix d'un chantage et le colonel Drake est élu juge par un scrutin de 3 voix. Le message qui découle de ces actions est que pour vaincre la tyrannie de Barry Blunt qui se pare des apparences de la légalité, il est parfois nécessaire de s'arranger avec les procédures démocratique pour restaurer la justice réelle. La mission de restauration de Lucky Luke ne prend d'ailleurs réellement fin qu'une fois que la communauté s'est réunifié autours des institutions restaurées. Ce qui a lieu quand les complices de Barry Blunt ayant incendié les champs de pétrole, le colonel Drake nouveau juge proclame la restitution des puits volés. Les habitants s'activent alors et s'entraident pour enrayer la catastrophe.

Démission des institutions.
La défection du juge conclut la démission des élites qui cède à l'attrait de la richesse.
– Le maire quitte précipitamment le conseil municipal qu'il préside (Pl. 3).
– L'adjoint au maire se dépêche de partir prospecter sitôt qu'il a nommé Lucky Luke en signalant au passage que le reste du conseil est déjà partit prospecter (Pl. 7).
– Pingle signale à Lucky Luke que le précédent Shérif a démissionné pour aller prospecter (Pl. 2/1).
– L'adjoint du shérif Jigs qui n'a pas quitter son poste est un vieil ivrogne incapable.

Rôle de Lucky Luke par rapport aux institutions politiques.
Pour autant Lucky Luke n'apparait pas comme un révolutionnaire. Les institutions qu'il défend et restaurent n'apparaissent comme des instruments d'oppression que lorsqu'elles sont perverties. Dégénérescence des institutions qui permet l'instauration de la tyrannie et qui s'instaure quand le manque de courage et de solidarité des membres d'une communauté lui permette de s'installer.

Durant un autre épisode de la saga (« Billy the Kid ») pour restaurer les institutions Lucky Luke se fera pédagogue de la communauté de Fort Wealking.

L'originalité de Barry Blunt, l'oppression économique.
Le système économique paraît, à l'issue de l'aventure, dédouaner de toute vocation oppressive. La constitution d'un trust monopolistique du pétrole, apparaît comme étant l'œuvre de l'homme d'affaire véreux Barry Blunt. Barry Blunt apparaît comme un parasite social, il n'est pas créateur de richesse, c'est un individu avide et pervers et non le produit d'un système.

L'épisode « A l'ombre des derricks » semble être le seul de la série qui met en scène, l'oppression d'origine économique. On remarque qu'il n'y a pas de retour de Barry Blunt dans la suite de la saga et les autres mise en scène de conflits économiques comme la rivalité entre fermier et éleveur (« Des barbelés sur la prairie ») s'inscrivent dans le processus d'évolution historique d'une marche vers le progrès qui sous-entend que l'agriculture succède aux éleveurs (cf : film « L'homme qui tua Liberty Valance »).

L'idéal d'une société de petits producteurs.

L'entreprise de Barry Blunt fait référence à l'établissement brutal du trust « Standard Oil » par Rockfeller qui bâti son empire en asphyxiant les petites compagnies indépendante qu'il rachète à bas prix ensuite. La défaite de l'entreprise de Barry Blunt correspond à une réécriture de l'histoire dans un sens exaltant l'idéal d'une société de petits producteurs artisans. Si l'établissement d'un trust par spoliation reste une exception dans la série, le reste de la série continue à mettre en scène des sociétés de petits producteurs qui correspond à un modèle de société qui apparaît à la fois dans le western filmé et dans l'idéal de la société républicaine française qui durant les années d'après-guerre cherche plus ou moins consciemment à retrouver l'idéal républicain de la III° république du paysan citoyen.

Pessimisme ?

« A l'ombre des derricks » est le seul épisode qui évoque une vision pessimiste de l'avenir. Le paysage apparaît souillé de boue. La tyrannie de Barry Blunt suggère que le progrès n'est pas obligatoirement bonheur et de liberté. Suggestion renforcé par le fait que le progrès mis en cause par l'épisode (le pétrole) est durant les années 50 / 60 l'énergie qui accompagne la motorisation croissante de la société. Motorisation qui apparaît comme le symbole majeur de la croissance et du progrès.

A noter que le départ à la fin de Lucky Luke ressemble plus à une fuite qu’au départ triomphant d’un héros ayant accompli sa mission, il ne chante pas sa ritournelle habituelle et Jolly jumper ne cache pas son dégout.