La créature des marais, cette plante qui se croyait homme, plus humaine et que la plupart des humains, poursuit des aventures. Et aujourd'hui, la voici aux prises avec le Rêve américain.


Alan Moore déteste l'Amérique. J'exagère peut-être, mais de manière générale je ne pense pas qu'il ait une haute opinion de ses semblables. Les américains semblent en tout cas lui déplaire.
Ce second tome du Swamp Thing d'Alan Moore constitue un gigantesque arc narratif aux nombreux embranchements baptisé "American Gothic", qui cumulera en une gigantesque bataille cosmique et philosophique, un Crisis on Infinite Earths occulte.


S'étant appliqué à redéfinir son personnage principal lors du premier tome, Moore va ici permettre à Swamp Thing d'embrasser pleinement son statut de gardien du monde végétal, de la Sève. C'est l'occasion pour lui d'introduire John Constantine, cette sale fripouille de sorcier cynique et tourmenté que reprendra avec brio Jamie Delano dans la série Hellblazer.
Constantine, donc, va pousser notre créature du marais à prendre conscience de sa place dans l'ordre naturel. Elle qui ne vivait que pour redevenir humaine dans un premier temps, puis à vivre heureuse avec Abby Cable, la voilà chargée de nouvelles responsabilités qui dépassent le simple cadre de l'humain. L'American Gothic est l'arc de la maturité pour son personnage, ainsi que pour tout un pays.


Car l'objectif de Moore, comme l'explique le grand Neil Gaiman dans la postface, est de mettre à mal, voire de détruire le manichéisme américain. Nation fondée sur la religion, la famille et le patriotisme, la jeune Amérique est parasitée par une naïve distinction du bien et du mal, qui engendre les pires atrocités. Racisme, auto-justice, guerre,... Moore ne le conçoit que trop bien, son Swamp Thing prenant place dans l'univers DC. Les super-héros ne sont-ils pas le symbole de ce manichéisme enfantin qui hantera les pensées de leurs lecteurs une fois adultes ?
Quoi de mieux pour cela que de construire une série d'histoires horrifiques revisitant les grands mythes fondateurs de l'Amérique, conjugués à la relecture de figures de l'épouvante classique.
Nous voyons ainsi les fantômes du Deuxième Amendement investir la demeure labyrinthique de Sarah Winchester (le nom a été changé, mais la référence est limpide). Une femme victime d'un mari abusif cherchera la liberté par la lycanthropie. Une équipe de cinéma devant tourner un film historique sur la traite négrière fait face aux esclaves revenus à la vie. La figure incontournable de la culture américaine des années 70-80, le tueur en série, rencontre le véritable Croquemitaine.
S'entremêlent dans ces récits fiction et réalité, le passé que l'on refoule finit par ressurgir dans le présent et tous les masques finissent par tomber : un acteur a priori progressiste s'avérera un raciste refoulé tandis que la raciste convaincue finira par accepter, trop tard, son amour pour un collègue afro-américain.
Si le premier tome de Swamp Thing ménageait des bases morales assez claires, malgré quelques nuances (Matt Cable, Floronic Man), ce second tome vient complétement les chambouler, pour en quelque sorte réinventer l'imaginaire américain. Certains pourraient trouver la position de Moore assez prétentieuse, car il ne suffit pas bien sûr d'écrire une bonne histoire pour changer la face de tout un pays, tout comme combattre le racisme ne se fait pas simplement en punissant les racistes. Mais justement, l'auteur fait preuve d'une vraie humilité, il n'est qu'un scénariste anglais issu de la classe ouvrière, il n'a pas le pouvoir de changer la mentalité de tout un pays, voire même du genre humain tout entier, mais son Swamp Thing, son V pour Vendetta, son Watchmen et tant d'autres histoires cultes sont autant de bande-dessinées proposant des réflexions nouvelles, non seulement autour de l'état du neuvième art mais également de celui du monde et de la société occidentale, les trois n'étant pas beaux à voir aujourd'hui encore...
Dire non au manichéisme puéril américain ne mettra pas fin à celui-ci, mais Moore propose à ce que nous tous, lecteurs, collectivement nous réfléchissions avec lui à ses problématiques, pour peut-être, ensemble, trouver le moyen de réformer ce qui dérange.
Un objectif en partie atteint, puisque l'univers du comics ne sera plus jamais le même après le passage de Moore sur celui-ci dans les années 80, mais en même temps celui-ci aura laissé une telle empreinte qu'encore aujourd'hui il semble difficile de dépasser le "style Moore" qui aura marqué des générations de lecteurs et d'auteurs.


Bref Swamp Thing tome 2 renouvelle avec brio l'univers de Moore, l'étend jusqu'à lui donner des proportions cosmiques et propose des réflexions à la fois désabusées et profondément humanistes sur l'homme et son rapport à l'autre, à la Nature et à Dieu.
Ça doit être ça, le post-modernisme à l'anglaise.

Arkeniax
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Journal d'un explorateur et Une case en trop ! (2021)

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le 27 janv. 2021

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