Éternelle condamnation que de servir des despotes

• Vous pourriez prendre la place d'un roi avec de tels pouvoirs, Altherat.


• Je le pourrais mais l'exercice du pouvoir nécessite certains désirs que je n'ai pas.


• Et pourtant vous le servez, ce pouvoir ! Qu'est-ce que ça change ?


• Je suppose que vous savez que j'y suis contraint malgré moi. Les mages doivent servir ou être emprisonnés. Il n'y a pas d'autre option.


• Votre libre arbitre n'existe plus. Je le sais. Et quelque part, je vous plains. Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée, Altherat.


• Bonne nuit, monsieur l'inconnu.


• Appelez-moi, Byron.

Jean-Luc Istin sous les éditions Soleil poursuit son exploration de la branche familiale de l'occultisme avec Mages tome 3 : Altherat. Après la découverte des deux voies indirectes avec l'élémentalisme et la magie runique, on découvre l'une des deux voies directes avec la nécromancie. Avec cette bande dessinée, on explore en profondeur les arcs-boutants du fondement idéologique et politique des Mages, qui depuis le génocide des elfes rouges d'Orobarian par le Mage Slovtan, se sont retrouvés sous le joug d'une loi proclamée lors du Concile des Cents, où il fut décrété que la sorcellerie uniquement détenue par les Mages est un concept beaucoup trop périlleux et imprudent. Une nouvelle structure du pouvoir magique fut promulguer à travers une loi exhortant les Mages à se recenser et à se mettre au service par une soumission absolue aux seigneurs auxquels ils sont préalablement attribués. En découle la création de l'ordre des ombres avec des hauts maîtres Mages, surnommés les Connétables, mises en place afin d'assurer la stabilité de cette loi et que l'on explore dans ce récit par le biais d'Irebor. Une conception idéologique politique amplement élaborée autour d'une épopée d'héroïc fantasy enrichissante située dans le gigantesque univers des Terres d'Arran, synthétisée par des tomes indépendants qui viennent en parallèle se greffer autour d'une saga de bande dessinée très prolifiques avec Elfes, Nains et Orcs & Gobelins.

Altherat en tant que vieux mage blasé par la perversité des arcanes du pouvoir auquel il est obligé de se soumettre en obéissant aveuglément aux ordres de son roi Goddrick, est un formidable personnage pour faire connaître et comprendre le rôle des sorciers au sein du pouvoir, et la soumission de ceux-ci à l'ordre des ombres à travers une fastidieuse vie de servitude. Avec ce périple, Istin laisse de côté les grandes fresques guerrières pour centrer son récit sur les arcanes du pouvoir, plus précisément sur la politique humaine. On explore les instances gouvernementales par le prisme des Mages jouant un rôle de conseiller en tant que branche occulte avec une implication de tous les instants. Concentrant en sa personne toutes les attentes de son roi auquel il est totalement asservi et peu importe s'il s'agit d'un despote ou d'une raclure, comme il en est avec Goddrick qui est ce qui se fait de pire en matière de monarque au grand désarroi d'Altherat. C'est le souverain qui prend personnellement toutes les décisions et le Mage s'exécute. En tant que premier Conseil du roi, Altherat (comme l'ensemble des Mages) incarne un organe suprême dans les décisions politiques, administratives et juridiques. C'est le principal conseil du gouvernement, où sont prises les décisions politiques majeures, tant sur le plan intérieur que dans le cadre des relations étrangères, au cours de divers conseils, où se joue l'ensemble des affaires du royaume. Un terrain de guerre pour les calculs politiques et les coups fourrés, à coup de bassesses, de roublardises et autres vices, qui dans ce cas précis va servir les ambitions démesurées de Goddrick. Le rêve d'annexer les trois autres royaumes d'Yrlanais frontaliers composant le royaume d'Yrlanie continentale. Goddrik conseiller par son mage Altherat dirige l'Ouest, le roi Erik conseiller par son mage Krétorann dirige le Nord-est, le roi Kog conseiller par son mage Ophéra dirige l'Est, et le roi Harakson conseiller par son mage Ykeron dirige le Sud-est. Au milieu de tout ça, Altherat va devoir mettre un plan compliqué en place afin d'obéir et de servir les rêves démesurés de son vassal, se retrouvant dans l'impossibilité d'épargner une confrontation dont il ne veut pas.
 

Avec une telle approche, cet album créé une véritable fracture avec ce qui fut déjà fait, conférant une ambiance unique d'une maturité appréciable dont les sentiments n'encombrent que peut Altherat. Du moins, ceci n'est qu'une façade car le vieux sage trouve le réconfort dans les bras d'Aryann, sa bien-aimée mort vivante qu'il a ressuscitée dans le plus grand des secrets après un suicide qu'il a involontairement provoqué. Une bonne manière d'introduire la nécromancie autour d'un scénario nourrit d'une enquête criminelle qui se joue dans des dessous de table, des arrière-pensées et des chuchotements de palais. En matière de confrontation ce n'est pas un grand album, mais on a droit à des retournements de situations efficaces avec un dénouement final à la hauteur. Une finalité vendant un futur génocide à venir avec l'incursion de Byron et une utilisation apocalyptique des pouvoirs des mages, qui risquent de devenir les instruments d'un vaste génocide visant les Elfes, les Nains, les Orcs... Pour que seuls restent les hommes. Une bonne dramatique autour d'un ressort politique rondement mené venant construire solidement les arcanes du pouvoir humain et mage au sein des Terres d’Arran. Les dessins de Vladimir Krstic et Laci sur les couleurs de Digikore Studios sont impeccables, offrant de superbes plans avec des planches gothiques pour certaines remarquables. Les sorts manquent un peu d'impact et surtout de lugubre vu la caste magique mise en avant (malgré quelques bonnes idées), mais dans l'ensemble les vignettes sont de qualité.

CONCLUSION :

Mages tome 3 : Altherat, des éditions Soleil par la plume éclairée de Jean-Luc Istin, est un album étonnant d'une maturité sans précédent qui arpente adroitement par son personnage vieillissant les arcanes du pouvoir politique au sein des Terres d'Arran. Une aventure qui délaisse l'épique au profit d'une structuration idéale de la branche familiale des Mages, intelligemment positionnée dans cet univers. Si bien, qu'il aurait été plus logique et judicieux de présenter le tome 3 : Altherat, comme la première aventure Mages de la franchise.

De l'anti-épique politique rondement mené !

• Ha ! Ha ! Ha !


• Mon Roi ?


• Sans parler de relations charnelles, je me demandais justement si toi et moi étions de vrais amis... Alors, qu'en dis-tu, Altherat ?


• Que le pouvoir est votre, que je suis ici pour vous servir corps et âme, et que l'amitié n'a pas lieu d'être. J'ajouterai qu'elle existerait, elle ne serait pas forcément un bienfait pour votre royaume car l'amitié à un tel niveau d'exercice du pouvoir peut se révéler une redoutable faiblesse.