Ce tome fait suite à Sains et saufs ? (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2005, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des trames grises appliquées par Cliff Rathburn. Le lettrage a été réalisée par Rus Wooton, la couverture par Tony Moore.


2 personnes se dirigent vers la prison où se trouvent Rick Grimes et sa petite communauté : une dame noire avec des sabres, et Otis qui revient après une expédition à l'extérieur. À la fin du tome précédent, l'un des prisonniers exigeait le départ de Rick Grimes et de sa bande séance tenante, sous peine d'être abattu sur le champ. Mais la situation se résout d'elle-même quand une étourderie provoque l'attaque d'une nouvelle vague de zombies, à l'intérieur de la clôture. Encore une fois, les membres de la communauté doivent abattre une horde de zombies, pas très rapides, mais entièrement obnubilés par l'idée de la chair fraîche. De l'autre côté de la clôture, Michonne débite également du zombie à l'arme blanche pour sauver l'infortuné Otis acculé contre le grillage.


Une fois la vague enrayée, il faut encore faire le tour du bloc A pour exterminer les zombies qui n'ont pas participé à l'assaut. Glenn et Maggie transpercent quelques cervelles à la grille, avant de s'isoler pour un peu de sport en chambre. Otis s'en prend à Patricia pour avoir soutenu 2 prisonniers, de couleur de surcroît. Herschel Greene poursuit le labourage et les semailles dans la cour de la prison, en jetant un regard méprisant à Axel (l'un des détenus). Michonne tire de la fonte. Andrea propose à tout le monde de s'habiller en orange pour pouvoir laver correctement leur tenue civile, et éventuellement la ravauder.


Avec ce quatrième tome, le lecteur retrouve tous les tics d'écriture des auteurs. Le récit est toujours rythmé par ces moments choc, soit à base d'apparition de zombies, soit à base de révélation aussi tonitruante que fracassante, avec une mise en page dramatisée à l'excès, dans une narration qui ne connaît ni la demi-mesure, ni la nuance. Quand Rick Grimes prend conscience qu'assassiner un autre être humain n'est plus un tabou, le lecteur à droit à un dessin en pleine page d'un individu assis, accablé par une telle révélation. Quand Andrea surprend Michonne à parler à haute voix, elle fait irruption dans sa cellule dans un dessin en pleine page. Quand Rick Grimes a le visage ensanglanté suite aux coups donnés par un autre membre du groupe, c'est à nouveau un dessin en pleine page sur son visage, pour être sûr que le lecteur a bien saisi toute l'importance capitale et primordiale du moment. Même en prenant en compte que Kirkman et Adlard respectent la parution en feuilleton mensuel de la série, le lecteur a régulièrement l'impression qu'on lui dit à quel moment il se passe un truc énorme, pour être sûr qu'il ne le rate pas. Sur le même plan, le rythme régulier des révélations ou des moments capitaux maintient l'attention du lecteur à intervalle régulier, tout en ressortant comme un rythme artificiel uniquement dicté par celui de parution, et déconnecté du rythme plus posé du récit, avec pour seul objectif d'éviter qu'une forme d'ennui s'installe devant une situation complexe évoluant très lentement.


Le lecteur peut continuer à s'irriter des tics de Charlie Adlard qui persiste dans l'apposition d'aplats de noir sur les visages et le silhouettes sans cohérence avec la ou les sources lumineuses présentes. Dès qu'un personnage se lance dans un monologue un peu long, les arrière-plans présentent une tendance marquée à se vider de tout élément visuel. Il faut dire que Kirkman aime bien que ses personnages exposent leur point de vue avec moult explications, pendant une ou deux pages, comme s'ils avaient préparé un discours, qu'ils l'avaient appris par cœur, et que leur auditoire se taisait en les écoutant religieusement. Dans une mesure moindre que dans le tome précédent, mais de manière toujours marquée, plusieurs couples n'attendent que l'occasion de s'isoler pour copuler à leur aise, sans souci de moyen contraceptif, parce que la grossesse, ça n'arrive qu'aux autres. Au vu du contexte, ce comportement ressort comme particulièrement irresponsable. Certains (Maggie & Glenn) restant allongés ensuite sans vêtement ni couverture parce qu'il doit faire particulièrement chaud, sûrement. On n'insistera pas sur la turlutte spontanée offerte à un des hommes par une femme qui ne l'a côtoyé que quelques minutes.


Bien sûr quelques individus continuent de fracasser de la cervelle de zombies au couteau ou au marteau de charpentier parce qu'ils visent sûrement mieux en étant au plus près des zombies, c’est-à-dire à portée de leur bras. En voyant arriver une jeune femme maniant le katana, le lecteur se reprend en se disant que le couteau et le marteau restent des ustensiles plus probables que des sabres japonais qui sont vraiment trop cools. Malgré tout, le lecteur sent le vent tourner quand Otis a la présence d'esprit de s'attaquer aux zombies avec une pelle, c’est-à-dire un outil muni d'un manche long permettant de disposer d'un bras de levier et de frapper de plus loin. Passons également rapidement sur la survenance bien pratique des zombies en début de volume, apportant le quota d'action, et dénouant une situation dramatique assez peu plausible. Qu'est-ce qui aurait empêché la petite troupe de Grimes de revenir dès que Dexter aurait eu le dos tourné, le rapport de force n'étant pas ne sa faveur ? Mais…


Mais en fait, il se passe quelque chose d'inattendu. Alors que le lecteur apprécie ce moment de divertissement à base de violence, au cours duquel les humains massacrent des zombies, sans gros risque pour les premiers, il tombe sur une page de 16 cases de taille identique, sans texte, alternant la tête d'un personnage, avec une tête éclatée de zombie. Adlard est fidèle à son habitude de répétition de cadrages identiques, pourtant le lecteur voit la juxtaposition des vivants avec les morts, un rapprochement mettant évidence que les vivants ont maintenant les morts sous le nez à chaque instant, qu'ils doivent lutter contre la mort. Il se reproduit le même phénomène au début du deuxième épisode, avec 3 pages sans texte (juste 2 ou 3 grognements inintelligibles) au cours desquels des zombies se relèvent et reviennent s'agglutiner contre le grillage de la clôture extérieur. Adlard dessine toujours les zombies à la truelle, sans velléité aucune de réalisme, avec des pupilles blanches sans qu'on sache pourquoi, des muscles à moitié rongés ce qui n'empêche pas les zombies d'avancer, des dents apparentes sur des gencives semblant en bon état, etc. Il ne faut pas chercher une logique de représentation dans ces cadavres en décomposition, il vaut bien s'arrêter à l'impression qu'ils produisent, impression avec une bonne capacité de conviction au final. À nouveau le lecteur voit les morts venir regarder les vivants, comme s'ils savaient que la clôture ne tiendra pas éternellement et que les vivants passeront à court terme du côté des morts. Ils les regardent patiemment en sachant que leurs jours sont comptés.


Évidemment, le lecteur sourit inconsciemment en découvrant cette jeune femme avec ses 2 katanas qui débite du zombie, sans coup férir, promenant même avec elle 2 zombies enchaînés et sans bras. C'est une vision cool, intrigante et qui en dit long sur le sang froid de cette personne. En même, il s'en veut un peu d'accueillir avec bienveillance, cet individu improbable, aux sabres trop stylés pour être crédibles. Il semble qu'il y ait là un compromis pour rendre le récit plus accrocheur. En outre cette femme se bat comme un lion, l'efficacité personnifiée, sans rater un seul de ses coups, venant au secours d'Otis, avec une rare élégance, une sauveuse dans toute sa splendeur avec tous les clichés qui y sont associés. En plus elle est mystérieuse, du genre mutique, et elle fait une fellation sur l'inspiration du moment. En même temps, Rick Grimes lui souhaite une bienvenue inconditionnelle, ce qui réveille à nouveau le doute chez le lecteur, et ravive la question de confiance, d'accueil d'un nouveau dans un groupe déjà peu stable.


Peu de temps après, Andrea se lance dans un monologue dont les personnages de Kirkman ont le secret en se tenant comme une oratrice captant l'attention des autres par la pertinence de ses propos. Pourtant derrière l'artificialité de la scène, la séquence passe toute seule, parce que Charlie Adlard montre les gestes qu'elle effectue en même temps, rendant la scène très visuelle, et le lecteur apprécie de voir enfin un personnage essayer de reprendre le dessus, même sur un élément aussi commun que celui dont il s'agit. Ce changement de ton narratif continue avec l'exploration systématique des couloirs de la prison, Kirkman continuant de montrer des personnages qui pensent à s'organiser au-delà des 12 prochaines heures. Le lecteur lui passe donc les 2 coups de théâtre choc qui suivent. Il s'arrête plutôt d'étonnement devant une scène beaucoup plus banale, mais beaucoup plus terrifiante : sur 2 cases de la largeur de la page, les 2 enfants Carl et Sophia (la fille de Carol) contemplent les mouvements pathétiques des zombies derrière le grillage de la clôture. Adlard n'en rajoute pas, il se contente de montrer 2 enfants en train de regarder calmement cette agitation inefficace, et le lecteur se prend de plein fouet qu'il s'agit de leur quotidien dans tout ce qu'il a de banal. En 2 cases, les auteurs ont exposé l'ampleur et l'irrévocabilité de la situation, sans un mot.


Ça ne rate pas : juste après plusieurs personnages recommencent à forniquer comme si ça n'avait aucune conséquence, avec des émotions peu convaincantes, et des dessins très chastes comme il se doit dans un comics américain. Ça continue avec des actes choc et des révélations en dessin en pleine page, pour culminer par une bagarre de 16 pages entre 2 personnages de premier plan. Malgré cette narration très dépendante des coups de théâtre les plus énormes possibles avec une mise en scène la plus sensationnaliste possible, le lecteur se rend compte qu'il est immergé dans sa lecture, totalement absorbé par le comportement des uns et des autres, impliqué émotionnellement dans leurs actes et leurs copieuses déclarations. Même pendant la bagarre de 16 pages, les 2 pugilistes continuent de s'invectiver et de se lancer des reproches à la figure, entre savoir qui a la plus grosse et savoir qui commis le plus d'actes moralement répréhensibles, et ça fonctionne. Charlie Adlard utilise un cadrage au plus près des individus, avec des aplats de noir comme il affectionne, plus expressionnistes que réalistes, un ou même plusieurs sources de lumière n'aboutissant pas à ce genre d'ombre.


Dans un premier temps, le lecteur se dit que Robert Kirkman & Charlie Adlard ont encore eu de la chance en alignant des scènes d'une platitude et d'une évidence peu communes, en utilisant des mises en scènes basiques et primaires, et en réussissant malgré tout à impliquer le lecteur. Ce dernier comprend bien qu'il s'agit de l'accumulation de petits détails qui finissent par composer une image plus élaborée que l'enfilade de scènes banales à en être presqu'insipides. Il a également conscience que les moments choc surviennent avec une régularité métronomique artificielle. Pourtant les petits détails tels que ces enfants observant avec curiosité le comportement des zombies (des morts attendant que les vivants les rejoignent) modifient le goût des autres séquences. Le quotidien est indubitablement changé, sans espoir de retour et la nouvelle génération est déjà en train de grandir en oubliant ce que pouvait être la normalité de la civilisation nord-américaine. Les individus se conduisent avec les nerfs à fleur de peau, sans beaucoup réfléchir, mais il s'agit d'une forme de stratégie psychologique de compensation.


Le lecteur peut rester irrité à cause des comportements les plus contre nature, comme cette façon de s'abandonner à ses hormones et ses instincts de reproduction dès que l'occasion s'en présente, ou pire encore (et tout aussi appuyé) la propension de plusieurs femmes à rechercher la protection d'un homme fort. En même temps, ces attitudes grossières et peu réfléchies peuvent être considérées comme des conséquences du traumatisme d'un monde peuplé de zombies, un retour à des atavismes présents depuis des temps immémoriaux dans l'humanité. Le lecteur peut s'agacer du comportement machiste des hommes et du retour en arrière à une recherche de protection chez les femmes, mais il ne peut que convenir que cela fait sens dans le contexte du récit.


Les auteurs n'en ont pas fini avec le lecteur, car il assène un dernier coup de théâtre avec les velléités de plusieurs membres du groupe d'instaurer une forme de gouvernance structurée. Plusieurs se liguent pour dire à Rick Grimes qu'il ne peut pas supporter seul la responsabilité de l'ensemble des membres du groupe et que les décisions doivent être prises à plusieurs, une sorte de pilotage par comité. Le lecteur un peu habitué à ce genre de questions (ne serait-ce que s'il a lu quelques tomes de Dilbert, de Scott Adams) sourit tout suite à l'inadéquation de cette forme de prise de décisions en situation de crise, et en même temps il savait que cette question devait être évoquée et que c'était la seule proposition logique en l'état actuel de la situation.


Dans ce quatrième tome de la série, Charlie Adlard prouve qu'il dispose de compétences de metteur en scène lui permettant de donner un intérêt visuel à des scènes de dialogue et même de monologue, même s'il continue à abuser des cadrages outrageusement dramatiques. Robert Kirkman redresse un peu la barre en montrant que les personnages sont capables d'envisager l'avenir à plus de 12 heures, continue de jouer dans la surenchère des moments choc et des parties de jambe en l'air. Derrière les apparences de cette narration racoleuse, il continue de développer l'évolution naturelle de la dynamique du groupe, et il dessine le portrait d'un groupe composés d'individus traumatisés faisant face chacun à leur manière, en adoptant des stratégies comportementales particulières. Parti avec un a priori négatif sur la façon de raconter des auteurs, le lecteur en ressort avec une empathie renforcée vis-à-vis de ces personnages qui existent sur la page et qui souffrent sans grand espoir de lendemains meilleurs.

Presence
10
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le 19 juil. 2019

Critique lue 108 fois

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