Dans une ville ravagée, un homme déambule avec comme seul objectif celui de subsister. Une énième improvisation sur un thème classique qui parvient à nous éblouir par son innovation graphique constante.
Réfugié au sommet d’un immense pylône électrique, un jeune homme blond, vêtu d’un simple maillot de bain sur lequel est inscrit « Aquaviva », tente d’échapper à ce qui s’apparente à une hyène à l’affut de la moindre nourriture à dévorer. Surplombant un monde détruit et entièrement composé de ruines et de fragments d’objets, il est le témoin d’une civilisation effondrée. Désireux de reprendre son exploration, il rencontrera au cours de son errance, outre les meutes d’animaux affamés, des hommes meurtris, d’autres formant des hordes qui succombent à une inquiétante sauvagerie. Seule parenthèse contemplative et amicale, le regard d’une femme permet d’imaginer encore un monde plus apaisé. Mais dans ces temps nouveaux où la survie est l’unique dessein, le danger n’est jamais loin et réserve constamment des confrontations inattendues.
Le récit post-apocalyptique a offert à la bande dessinée des œuvres marquantes tels Simon du Fleuve, Jérémiah ou récemment le somptueux La Terre des fils de Gipi. Avec ce dernier, Aquaviva partage le goût pour un monde qui aurait non seulement été victime d’une destruction dont on ne connaît pas les tenants, mais qui en outre aurait perdu son ancien langage. Là où Gipi inventait une langue qui se serait appauvrie, Guillaume Trouillard lui substitue des sons illisibles, jusqu’à faire de son récit une aventure muette. Pourtant, les mots sont partout présents au sein des décors composés avec minutie par l’auteur. Chaque image est le fruit de l’agencement des matériaux les plus hétéroclites : photographies, lettrages, bandes de papiers, tâches, salissures… et le résultat est d’une confondante beauté. On connaissait la maestria graphique de l’auteur de Colibri ou de La saison des flèches mais ici, il se surpasse en nous offrant un rendu des plus inédits, frôlant constamment l’abstraction. La grande beauté du livre est que le récit n’en devient jamais désincarné mais tout au contraire semble se nourrir de ces éléments disparates. C'est par sa puissance visuelle, sa faculté à proposer de l’inédit que Guillaume Trouillard invente un monde, le rend tangible. Aquaviva est une expérience de lecture inespérée comme seul peuvent nous offrir les grands artistes.


Bruno

LeSinguliers
9
Écrit par

Créée

le 14 août 2020

Critique lue 39 fois

Critique lue 39 fois

Du même critique

Le taureau par les cornes
LeSinguliers
9

Critique de Le taureau par les cornes par Médiathèque Le Singuliers

En 2007, Morvandiau publiait le très pertinent D'Algérie, récit-enquête sur son histoire familiale remontant aux racines de la colonisation de l'Algérie par la France. Tissant les fils de cette...

2 j'aime

Lost Highway
LeSinguliers
10

Critique de Lost Highway par Médiathèque Le Singuliers

En 2001, Mulholland Drive est unanimement salué par la critique et David Lynch passe du statut de réalisateur aux lubies étranges à celui de Cinéaste Intouchable. Son nouveau film n'est plus balayé...

le 29 avr. 2020

2 j'aime

Visa Transit, tome 1
LeSinguliers
8

Critique de Visa Transit, tome 1 par Médiathèque Le Singuliers

On connaît le talent de Nicolas de Crécy depuis l'inaugural Foligatto en 1991 ( éditions Humanoïdes Associés sur un scénario d'Alexio Tjoyas). Peu d'auteurs ont su imposer un style graphique et un...

le 10 avr. 2020

2 j'aime