Ce tome fait suite à Brothers & other strangers qu'il faut avoir lu avant. Il contient les livres 3 & 4 de Dark Age, soit 2 miniséries de 4 épisodes chacune publiées en 2009/2010. La première se déroule en 1982, et la deuxième en 1984. L'histoire est réalisée par l'équipe habituelle : Kurt Busiek pour le scénario, Brent Anderson pour les illustrations, Alex Sinclair et Wendy Broome pour la mise en couleurs, Alex Ross pour les couvertures et la conception visuelle des personnages.
6 années ont passé depuis le livre 2 qui se déroulait en 1976. De nouveaux superhéros sont apparus tels Point Man qui n'hésite pas à tuer si nécessaire, en privilégiant le bien de tous au détriment de la vie de quelques uns. Royal a découvert l'identité du tueur de leurs parents et l'a confié à Charles. Depuis Royal s'est enrôlé au sein des forces paramilitaires de Pyramid (organisation terroriste qui évoque un croisement entre HYDRA et AIM), comme agent double ayant comme contact Charles qui lui travaille pour E.A.G.L.E. (une organisation qui évoque de loin le SHIELD de Marvel). Malheureusement, des troupes d'élite d'EAGLE prennent d'assaut le camp d'entraînement où se trouve Royal qui doit fuir dans la clandestinité et qui refuse de reprendre contact avec son frère. Ce dernier est menacé d'être muté d'office de la branche tactique dans la mesure où il n'est pus ne mesure de fournir d'informations secrètes par le biais de son frère. Pendant ce temps là les superhéros d'en finissent pas de devenir toujours plus bizarres. C'est le cas en particulier de l'équipe Apollo 11, que des bêtes curieuses aux pouvoirs hors norme (pensez à la Doom Patrol), avec une connexion à un être immortel souhaitant juger la Terre (qui évoque les Celestials). La vengeance de Charles et Royal Williams semblent toujours s'éloigner.
Kurt Busiek continue d'écrire sur l'évolution des superhéros au fil des années, mais avant tout il s'agit de l'histoire de ces 2 frères Charles et Royal. La narration est un peu déconcertante de prime abord puisque la majeure partie des scènes est commentée par des cellules de texte correspondant aux propos de l'un ou l'autre des 2 frères. Il faut attendre l'épilogue pour avoir l'explication et la justification de ce dispositif. Ensuite, Busiek choisit de raconter son histoire de manière chronologique, mais en effectuant des sauts en avant dans le temps d'un livre à l'autre. Le thème principal du récit est la maturation des points de vue des 2 frères, leur engagement pour atteindre un objectif (venger leurs parents), et le prix à payer pour l'atteindre, alors que les années passent. Le discours n'est pas très original, mais la construction du récit empêche de se désintéresser du sort de ces 2 individus assez ordinaires (sauf qu'ils vivent à Astro City, et qu'ils deviennent l'un comme l'autre des agents doubles). Busiek fait de leurs actions le fil narratif principal qui s'entremêle avec l'apparition de nouvelles générations de superhéros, l'évolution des valeurs sociétales, et le sort du Silver Agent.
Avec les générations successives de superhéros, Busiek creuse son thème de prédilection : l'évolution des valeurs des superhéros (et de la société américaine) au fil des années, et leur relation avec l'homme de la rue. Il avait commencé à aborder ce thème avec Marvels, et il revient régulièrement au travers de ses différentes séries. Ici, l'introduction d'Ed Brubaker sous-entend que cette histoire aurait pu être la suite de Marvels. Quoi qu'il en soit, Busiek continue de le développer et il a des choses supplémentaires à dire, et ce de manière fort élégante. Il ne se limite pas à enfiler les clins d'oeil aux superhéros Marvel et DC ; il tisse une riche tapisserie qui fait écho aux préoccupations et aux conflits moraux de Charles et Royal. Busiek dépasse largement le stade de la critique (et même de la condamnation) des héros pour qui tuer un ennemi ne pose pas de cas de conscience. Cette remarque figure bien à une ou deux reprises (avec Point Man en particulier), mais juste comme un rappel. Il évoque à plusieurs reprises la mise à l'écart des superhéros traditionnels (la Furst Family -en abrégé FF - envoyée dans une autre dimension) au profit de l'apparition de superhéros de plus en plus éloignés de leur modèle de base, avec des références à la Doom Patrol (pas encore celle de Grant Morrison), à Swamp-thing (celui d'Alan Moore) et à Man-Thing (Gloo, créature indéchiffrable aux actions mortelles, comme le Man-Thing de Steve Gerber). Busiek présente ces personnages comme totalement déconnectés du quotidien des gens normaux, et donc de son point de vue des personnages qui ne sont déjà plus des superhéros au sens premier du terme.
Toutefois, loin d'écrire un récit à charge contre ces personnages trop noirs ou trop dégénérés par rapport au superhéros traditionnel, Busiek propose dans son récit des alternatives viables pour un public exigeant. Il y a bien sûr les apparitions opportunes de Silver Agent. Comme son nom l'indique (une référence transparente au Silver Age) : ce superhéros a conservé un code de l'honneur où tuer est un interdit absolu et il sert de contrepoint aux actions des autres superhéros. Mais il y a aussi Mirage (celui avec un costume noir et des bandes néon) qui a l'entrain d'un Spider-Man des meilleurs jours, avec une apparence aussi mystérieuse que pleine de vie. Busiek ne se contente pas d'un "c'était mieux avant", il prouve que ces valeurs morales basiques ont encore un sens dans les années 1980 (et maintenant pour le lecteur d'aujourd'hui).
Enfin, Busiek entremêle un dernier fil qui est celui de l'évolution de la société par le prisme grossissant des émissions de téléréalité, basée sur le plus petit dénominateur commun, afin de faire les plus gros scores d'audience. La scène est courte (3 pages, livre 4, épisode 2) mais elle capture l'essence de ces émissions qui transforme la souffrance des victimes en spectacle. Dans l'épisode précédent, Busiek a préparé le terrain avec une courte scène également (1 page) pointant du doigt la montée irrépressible de la société du spectacle.
Dans la page de remerciement, Brent Anderson indique qu'il remercie 2 personnes pour l'avoir initié à l'infographie. À la lecture de ces épisodes, il est impossible de déceler que ces illustrations ont été réalisées à l'infographie. Le style d'Anderson est toujours le même : influencé par Neal Adams pour le réalisme et le rendu des visages, avec un niveau de détails supérieur à la moyenne, tout en restant mesuré. Anderson construit des pages sur une trame de 4 à 5 cases, avec une densité d'informations visuelles importante, ce qui donne l'impression d'un plus grand nombre de cases. La densité de superhéros est plus importante dans cette histoire que dans les précédentes, ce qui donne au lecteur tout loisir d'admirer la pertinence de la conception de chaque costume. Anderson a l'art et la manière de concevoir et réaliser des séquences d'une efficacité exemplaire, tout en restant en retrait de la narration. La lecture de ses pages permet au lecteur de comprendre ce qui se passe, de voir l'histoire, sans jamais s'arrêter pour admirer une pose iconique ou un enchaînement éblouissant. Par contre si le lecteur prend le temps de regarder chaque case, il découvre que les détails sont à leur place, que le langage corporel est juste, que les costumes en racontent beaucoup sur la nature des pouvoirs et sur la personnalité de chacun, etc.
Cette deuxième partie de Dark Age permet de découvrir l'aboutissement de la vengeance des frères Williams, ainsi que la fin de l'épopée du SIlver Agent. Busiek et Anderson invitent également le lecteur à découvrir leur point de vue sur l'évolution des superhéros Marvel et DC au début des années 1980, ainsi que le glissement de valeurs morales de nos sociétés qu'ils reflètent. La série se poursuit avec Shining stars qui contient les épisodes "Shining stars", Samaritan", "Beautie", "Astra" 1 & 2, et "Silver Agent" 1 & 2.