Chroniquer son périple au milieu de mangas qu'on s'en va éplucher à l'aveuglette, c'est un jeu de marelle dans un champ de mine. On y va gaiement, en sautillant même, mais on sait qu'on va se faire mal à un moment ou un autre. Un synopsis déjà, rien que ça, ça donne la couleur ; une couleur qui apparaît parfois délavée d'avance et dont le terne viendra à se confondre avec l'expérience de la lecture. Du moins le croit-on.
Des bonnes surprises, des mines éditoriales qui m'ont explosé à la gueule mais avec des confettis, j'en ai pas connu des masses. Celle-ci en était une.


Tout avait pourtant mal commencé. Présenté désemparé face au fait accompli, le fait... se manifestant par une esquisse de Ieyasu Tokugawa dont le menton aurait été confondu avec ses testicules, j'ai eu comme le sentiment que l'auteur allait prendre quelques libertés quant à la manière de chroniquer quelques faits historiques. Dieu merci - bien que Dieu soit hors de ce monde quand on lit l'immonde - Masaki Segawa, dessinateur et Fûtarô Yamada, auteur du livre dont est tiré Basilisk, ne ne se risqueront ni l'un ni l'autre à trop entrer dans les détails quant à ce qui a trait au contexte historique. De même que seule l'Angleterre Victorienne ait jamais existé sur le plan de l'espace-temps, je me suis figuré - à l'usure - que l'histoire du Japon s'en sera tenue exclusivement à la personne de Ieayasu Tokugawa ainsi que de tous ceux ayant eu un jour l'insigne honneur de graviter autour de son gros cul. Et je parle de son cul pour ne pas encore une fois mentionner son menton, question de décence.


Quand la plupart, trouvant l'aubaine irrésistible, tirent volontiers et complaisamment à travers une fenêtre grande ouverte par l'auteur, je reste l'arme au pied. Cette fenêtre, elle se sera entrebâillée sur le prétexte oisif à l'origine du tournoi. La justification - car c'en est une - n'aurait pas même été acceptable de la part d'un élève de maternelle. En quelques pages seulement, un tacticien du shogunat nous apprendra, que cela nous plaise ou non, qu'au nom d'une prétendue déstabilisation politique, impératif d'organiser un tournoi de ninjas il y avait eu. Et, parce que tournoi il se devait d'y avoir, tournoi il y avait alors.
L'explication, pas même vraisemblable a minima, est aussi vaseuse que présentée sans conviction. Et malgré tout, je m'en satisfais. Je m'en satisfais car le prétexte comme le contexte m'importent finalement bien peu dès lors où il s'agit de mettre en scène des combats à mort. Le duo Segawa-Yamada nous aura épargné les multiples tortillages de cul scénaristiques pour justifier ce qui, de toute manière, ne pouvait pas l'être d'un point de vue strictement rationnel. Alors ils se seront dit «Au diable le sérieux ; j'ai une idée mais pas de quoi l'amorcer, torchons cela et allons de l'avant». Et au diable, il fut fort bien avisé de lui confier ce socle d'intrigue branlant et fissuré car le reste du script aura largement pu tenir dessus.


Basilisk, pareil à Bleach, a bien peu de prétentions et nous l'affiche sans honte. Je dis, c'est à mettre à son crédit. Qu'on me promette du sang, rien que du sang, pour la finalité de l'hémoglobine, finalement, tout cela n'appelle pas à l'édification de la moindre intrigue pour seulement s'abaisser à justifier le principe. Aucun louvoiement trompeur en vue ; l'auteur nous jette son steak saignant en se foutant bien de savoir si l'aimons servi dans une assiette en porcelaine ou sur le grill. Lui sait que tout ce qui importe, c'est la faim de son lectorat. Aux gourmets la grande cuisine, aux autres une auge bien pleine. Basilisk ne commet pas l'erreur de se présenter pour ce qu'il n'est pas en cherchant à se faire plus complexe qu'il ne l'est. L'œuvre s'assume pour sa bête brutalité (pas si bête en réalité) dont les soupçons de subtilité apparaîtront pourtant en filigrane tout du long de son accomplissement. C'est là le pari de l'honnêteté d'un mangaka bien peu réceptif aux faux-semblants. Il sait ce qu'il dessine, il sait ce qu'il vend et tout cela, il nous l'offre pour ce qu'il est. De même qu'un film d'action bourrin qui s'assume vaudra toujours mieux que du cinéma d'auteur pétant plus haut que son cul, Basilisk est le bras d'honneur du béotien au mandarin.


À tout prendre, même si comparaison n'est pas raison et encore moins oraison, c'est Battle Royale qu'on retrouve. Il y a deux équipes, certes, mais en bout de piste, combien en restera-t-il debout ? Il n'est pas chez Basilisk une seule confrontation à m'avoir laissé sur ma faim. Chaque protagoniste - et j'inclus parmi eux les antagonistes avec qui l'affiche est équitablement partagée - se voit doter d'un pouvoir d'attribution et d'un pouvoir seulement. Il lui appartiendra alors d'en tirer le meilleur parti à chaque situation donnée et de l'associer à celui de ses alliés aux moments les plus idoines. Une même arme ici, présentera des facettes nouvelles chaque fois qu'elle sera nouvellement dégainée de son fourreau.
Les pouvoirs sont simples et donc fonctionnels, prompts aux retournements de situation soudains au profit d'un camp ou de l'autre. Certains parmi eux se payent même le culot d'être originaux sans avoir à se hasarder auprès d'un registre aussi excentrique que surfait comme cela se fait trop souvent.


Au répertoire, des dessins qui m'auraient franchement plu pour une parution Shônen. Shônen, Basilisk l'est des racines jusqu'aux fruits qu'il porte à nos yeux. Un fruit plutôt sanguin, j'en atteste. Et peut-être que les viols sont de trop pour échapper à l'appellation Seinen. Il n'empêche que.
De ces dessins, Bleach m'apparut encore en filigrane ; non pas pour la sophistication de son trait mais plutôt l'absence flagrante de décors à bien des instants donnés. Là encore, moi qui ai pourtant la dent dure et le venin corrosif ne m'en braque pas. Si un mot devait finalement condenser l'essence même de Basilisk, il se synthétiserait sous le terme «minimaliste». L'œuvre n'est pas carencée, elle s'abstient seulement de toute fioriture en se bornant à l'essentiel. Mieux vaut parfois un met sans garniture que mal assorti, ce qu'aurait été Basilisk le cas échéant et ce, à n'en point douter. Il n'y a pas un temps mort , le rythme du récit s'écoule en cascade et sans saccade.
Les auteurs m'apparaissent conscients de leurs limites portées à l'écriture comme au dessin et de ce fait, ne cèdent jamais à l'excès de zèle qui, pour eux, n'aurait probablement jamais été une tentation.


Je l'admets au point même de le revendiquer, ces gueules méphitiques, distordues et enlaidies par le vice qui se répandent à raison de dizaines par planches, ces roueries d'une sournoiserie indicible multipliées à l'envi, tout ça et plus encore font battre mon petit cœur qui, si bien alimenté, ne manque pas de faire circuler un sang noirci vers un organe qu'il convient de ne pas nommer par décence............... Oui, je trique pour ce qui se rapporte au mesquin et à l'infâme, j'ai même une liste qui le relate.
Avant que vous ne me jugiez trop sévèrement... sachez qu'il y a de la beauté dans le macabre ; il suffit simplement de lire à travers les nuances de fiel et de sang pour mieux l'appréhender. Le premier chapitre, à lui seul, se veut porteur d'une espérance funèbre dont on espère le dénouement tragique.


Nous sommes les témoins d'un défilé de protagonistes monstrueux et sans vergogne divisés en deux camps privés du moindre organe de noblesse ou de majesté. Un crawl ininterrompu dans la fange ; ininterrompu d'ici à ce que le sort ne lui prête un terme soudain. Parce que ça se lit vite Basilisk. Non pas qu'il y manque de matière, mais ce rythme... ce satané rythme, haletant au possible, nous aura transporté à vive allure le temps de cinq volumes à peine.


Alors qu'on ne lui suspecte aucun scénario autre que le préambule glissé en faux-fuyant, on ne prend de passion - modeste celle-ci - pour les aléas d'une histoire dont toutes les étapes de la trame avaient été clairement réfléchies et longuement muries avant de ne finir accouchées sur papier à l'encre sanglante. C'est là l'avantage d'adapter un roman. Segawa, en portant les premiers coups de crayon, partait confiant car il savait exactement où il irait. Pas de louvoiement de rigueur ou d'hésitation ; le script messires, rien que le script. Il s'y tient et nous, en retour, on s'y accroche du début à la fin.


Une histoire d'amour mêlée à une querelle clanique ancestrale, ça paraît pourtant si bateau qu'on se la figurerait en Titanic. Et pourtant, le rythme de croisière est aussi palpitant qu'il est pantelant ; on se plait à s'y laisser embarquer. On se laisse embarquer d'ailleurs, on s'y dissout même jusqu'à finir imprégné dans une assuétude propre à la banalité du mal ; d'un mal nécessaire sans qui rien ne peut s'accomplir.
Qu'elle paraisse si bien rendue cette histoire, cela tient aussi au fait qu'elle s'en tienne à la transcription du roman Koga Ninpo Cho de Fūtarō Yamada, que l'on tient, paraît-il, comme un classique de la littérature japonaise moderne. Ce qui ne contribue en rien à faire démériter Masaki Segawa quant à la soigneuse orchestration d'une splendide narration d'un récit sordide à souhait.


Du cadre de la prévisibilité, le récit s'en éloigne prudemment alors qu'il bifurque vers des étapes dictées par l'intrigue de sorte à ne pas emprunter un chemin linéaire et bucolique. Certainement pas bucolique, non. Sur le sentier qu'on emprunte, les oiseaux ne font pas «piou-piou» dans une campagne champêtre. Cette voie-ci, elle est tortueuse et traître ; on ne saurait l'apprécier autrement.


Nippons ni mauvais serait le jeu de mot tout trouvé pour désigner - avec un soupir de soulagement - la quasi absence de manichéisme dont nous gratifiera Basilisk. Kouga comme Iga se tirent la bourre à savoir qui parmi eux sera le plus abject dans la bassesse. Gennosuke et Oboro, au milieu du tumulte, sont pareils à deux mulots esquivant les rixes brutales et sanglantes de deux meutes de fauves occupés à s'écharper sans répit.
Et ces fauves-ci sont plus inhumains encore que s'ils étaient nés d'une autre espèce. Quand, à ses prémices, Basilisk présenta alors la nature des pouvoirs de ses personnages, un mélange de déception diffus au milieu de l'indifférence la plus absolue parut s'imposer de lui-même comme la réaction la mieux appropriée. Les applications de ces techniques, sommaires d'abord puis, franchement originales, trouvèrent finalement toute leur place dans le parcours historique ici déballé en jouant chacune un rôle seyant et admirablement désigné.
Personne ne sera épargné par la cruauté de l'intrigue, ces dames non plus n'auront droit à aucun égard galant en période de guerre totale. C'est une lutte à mort qui se joue dans l'acception la plus stricte et tragique de ce que peut recouvrir le principe. Un principe qui se concrétise violemment alors qu'il s'accomplit. Le tout, dans la frénésie haletante d'une brutalité de tous les instants, celle qui tait l'histoire d'amour pour lui privilégier un hymne à la haine entonné à tambours battants.


Un défaut regrettable se concrétise cependant quand, après quelques morts, le lecteur prend conscience que ces trépas ne le peinent que bien peu. En cinq volumes, nous n'aurons pas eu le temps de nous attacher à vingt personnages qui, parmi eux, ne comptent d'une infime quantité de protagonistes susceptibles de bénéficier de suffisamment d'exposition pour nous marquer.
Basilisk, c'est une œuvre qui accorde sa juste place à la romance : la part la plus minime, qui sait toutefois tomber à point nommé et à point nommé seulement.


Mon appréciation personnelle aura joué pour beaucoup et vous autres, lecteurs de cette critique, dépourvus que vous êtes des douces attributions de ma sociopathie coutumière, pourraient ne pas y trouver leur compte. Du moins, pas nécessairement dans les mêmes termes. C'est à craindre, bien que le récit soit riche et haletant pour faire palpiter le cœur des plus prudes.


Au fond, Basilisk, c'est une histoire simple. Très simple. Un point A, un point B et, entre les deux, des haltes qui s'occasionnent sur une trajectoire rectiligne au gré de quelques interactions sanglantes. Ce n'est que ça finalement. C'est cela, et plus encore. Plus, parce tout élément qui compose la simplicité élémentaire de la trame est ici exploité jusqu'à la dernière goutte de son essence. Rien n'a été laissé au hasard ou abandonné à l'expectative. Tout, jusqu'au plus infime composant de l'intrigue, aura trouvé son rôle avant de l'accomplir jusqu'à l'ultime prolongation permise par sa substance.


Et cerise sur le cadavre, ça finit bien. Entendez-moi bien, je ne dis pas que la joie se présentera comme l'apothéose des ténèbres. Non, non, lisez entre les lignes : ça se termine bien. Admirablement donc.


Les recettes les plus simples, quand on en maîtrise jusqu'au dernier ingrédient, valent parfois autant si ce n'est plus qu'un plat de maître. Basilisk, c'est ce ragout qui paye pas de mine, celui dans lequel on trempe une cuillère hésitante tout en tremblant avant de la porter à ses lèvres. Mais quand on y a goûté, le caviar s'affadit en comparaison.
Une œuvre qui va droit au but et place l'attention au fond du filet pour nous y maintenir captifs. Certes, Basilisk n'est pas à mettre entre toutes les mains ou plutôt, toutes les mains ne méritent pas de tenir un volume de Basilisk. Car l'œuvre, ici, est pareille à l'atome. Minuscule, apparemment négligeable et sans intérêt mais qui, lorsqu'on met à contribution les justes outils pour le manipuler, révèle un potentiel inouï qui ne manque d'ailleurs pas de nous sauter à la gueule. Pour le meilleur cette fois.

Josselin-B
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le 19 juin 2021

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Josselin Bigaut

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