Le retour du faucon

Il y avait une ville où la mafia était maître, où la pègre était reine, où commissaire maire et procureur pliaient genoux devant le parrain, où le juste mourrait et l'innocent finissait brisé. Il y avait une ville qui s'appellait Gotham, celle d'avant la chauve-souris, d'avant les monstres et les costumes. La Gotham du Faucon, Carmine Falcone seigneur de l'ombre dans son nid urbain.

Je n'ai pas oublié comment cette ville est censée fonctionner. Je me souviens de l'époque où les flics étaient des rois, et où il suffisait d'une balle bien placée pour empêcher les fous costumés de faire carrière. Je me souviens de votre Gotham M.Falcone, et elle m'a manqué chaque jour de ces cinq dernières années.

Batman Eternal nous renvoie quelque part à ce Gotham là, celui de Year One, celui où le crime organisé était tout puissant. Car Falcone - le Romain - est désormais de retour, bien décidé à reprendre sa ville. La reprendre à Gordon, la reprendre à Batman, la reprendre au Pingouin...

Cette ville n'est pas censée appartenir à des monstres, mais à des hommes comme toi et moi. Nous en avons décidé il y a des années. C'est ce qui était prévu. Il est temps de la reprendre à ces foutus fous furieux [...] Il est temps que notre jardin puisse fleurir à nouveau.

Jim se retrouve mis en prison dès le premier épisode, potentiellement victime d'une machination implaquable, coupable d'un accident horrible et de la mort de 162 personnes. Son procès mais aussi ses conditions de détention provisoire feront parti de la grande saga Eternal. Mais le voilà hors de course alors que la ville est à feu et à sang.

A sa place, le maire, de nouveau sous-fifre de Falcone, nomme un ancien pourri que Gordon n'avait pas pu mettre de côté. La police fait de nouveau la chasse à Batman et autres masqués. Plus grave encore, elle ignore la guerre de gang, laissant le champ libre au Romain pour s'attaquer à ses rivaux les uns après les autres.

En premier lieu, ceux qui l'avaient trahi par le passé. Cobblepot, le pingouin qui avait volé dans les plumes de son maître, voit un rapace vengeur s'abbattre sur lui. Il n'est pas prêt... Catwoman, fille illégitime du prédateur, est aussi une cible pour la griffure qu'elle lui avait laissée.

Au milieu de ce chaos dormant, nous suivons les résistants, ceux qui font de leur mieux pour empêcher le passé de reprendre ses droits. Vicky Vale, journaliste d'investigation, sent que l'affaire Gordon est l'arbre qui cache la forêt et tente par tous les moyens de comprendre la folie qui s'empare de sa ville. Jason Bard, dernier recru en date de Gordon, bleu tout juste débarqué de Detroit, doit naviguer entre le nouveau commissaire pourri Jack Forbes et son envie de remettre de l'ordre. Harper Row, jeune adolescante fascinée par le chevalier noir, voit son quartier mal famé des Narrows subir en premier le nouveau vent qui s'abat sur la ville. Batgirl part quant à elle sur une piste en Amérique du Sud pour tenter d'innocenter son père Gordon.

Si rien que cette saga d'une Gotham prise de court par le retour d'une mafia toute puissante, contrôlant les politiques et la police, étouffant les média, a tout pour faire un excellent comics, Batman Eternal voit bien plus loin que cela. Et si Falcone n'était pas le diable de retour en enfer, mais seulement son héraut ? Car les complots semblent se juxtaposaient. Batman, en visite à Hong Kong patrie d'exil du Romain, découvre que quelqu'un a lancé le Faucon sur Gotham. Mais dans quel but final ? Pendant ce temps, Stephanie Brown découvre que son père, méchant raté de seconde zone - aka le Maitre des indices - participe à un plan d'ampleur cataclysmique. Ce dernier cherche dès lors à l'éliminer, et la voilà sans abrie, à errer dans Gotham, témoin clé mais sans personne à avertir. On peut aussi noter d'une part un mystère inquiétant sur un virus de nano-robots qui contaminerait des citoyens de Gotham, d'autre part une activité mystique inquiétante se terre dans les entrailles de l'asile de Gotham.

C'est dense en intrigues, riche dans son développement d'une gallerie considérable de personnages, des cadors que l'on voit souvent à tout un tas de perosnnages oubliés que la nouvelle continuité News 52 remet ici au goût du jour (Julia Pennyworth, Jason Bard, Stephanie Brown...). Snyder est un maître du chevalier noir, son travail est parmi de ceux qui ont le plus enrichi l'univers du personnage derrière les cadors Miller et Loeb. Avec cette saga, il le prouve une fois de plus, sans ses défauts caractéristiques, car il se contente bien de superviser de loin l'intrigue général - trop occupé à d'autres projets pour un projet que cette série hebdomadaires de 52 épisodes. Une opération titanesque que DC a déjà montré savoir maîtriser (la série en temps réel 52 étant la référence absolue en la matière, mais on peut citer aussi Brightest Day ou Futur Ends - j'attends encore et toujours une réponse équivalente de Marvel). Pour l'épauler on a un James Tynion IV dont l'influence se ressent nettement, tant le schéma global ressemble à ce qu'il a pu faire par la suite dans son run (Joker War, Etat de terreur...).

C'est bluffant comme projet, très prenant scénaristiquement, malgré un blougiboulga graphique décevant quand bien même pardonnable tant la cadence de publication est insoutenable et les mains trop nombreuses pour présenter un style uniforme. Et même si cela ne saurait pas retomber sur ses pattes, le voyage est magistral et j'aimerai bien lire des comics de ce type en continu, avec la même curiosité sincère teintée d'inquiétude de découvrir ce qui va se passer ensuite pour nos héros.