J'ai eu très peur de lire The Dark Knight Returns. D'une part, le risque était grand de tomber dans la facilité et de nous sortir une aventure bien simpliste. D'autre part, je craignais de trouver là une vision personnelle et abstraite du personnage.

Où se situe la vérité? Je crois que ça dépend essentiellement de votre point de vue sur Batman et sur Frank Miller.

Batman est mort. Plus personne ne l'a vu depuis 10 ans, tous ses ennemis pourrissent à Arkham, et Gotham a retrouvé son visage d'antan: un centre urbain géré n'importe comment, beaucoup trop grand et surpeuplé, hanté par la pauvreté et le désespoir. Bruce Wayne n'est plus qu'un fantôme faisant de temps à autres une apparition remarquée dans les médias. Mais il est toujours hanté par ses vieux démons: aussitôt qu'il ferme les yeux lui reviennent les derniers instants de ses parents, ainsi que l'accident qui le vit dégringoler au fond d'un puits et lui causa un traumatisme permanent. Lorsqu'il les rouvre, c'est pour voir sa ville, ce monstre qu'il a toujours détesté: sale, mesquin, habité par la vermine et rongé par l'horreur, qui prend cette fois la peine d'un gang qui agit à visage découvert: les Mutants. Bruce Wayne se rend à l'évidence: Batman doit revenir...

/!\le prochain paragraphe contient des spoilers, dont certains énormes/!\

... et il surgit alors en montrant un autre visage que ce qu'on a pu voir dans les précédents âges des comics, puisque cet opus signe désormais l'arrivée de l'âge moderne: Batman, c'est un justicier épris de vengeance, qui applique sans réserve et totalement arbitrairement une morale dont on peut douter. À l'aide d'armes et d'équipements high-tech, fort d'un entrainement rigoureux aux arts martiaux, il agresse les malfaiteurs avec autant de brutalité que possible - sans toutefois les tuer: il ne s'abaisserait quand même pas à cela, et puis l'intimidation est une arme redoutable... Oui, mais. Ôtons toute considération morale de la chose, acceptons que oui, grâce à sa croisade, il protège l'innocent, il rend les rues plus sûres, il reste un problème: le chat parti, les souris dansent. Imposer sa loi par la force implique d'être toujours là pour l'exercer. Du coup, l'absence de Batman ne pouvait que créer la situation qu'il constate 10 ans plus tard. Il suffit de voir ses relations avec Gordon: celui-ci est réellement devenu un chien bien obéissant qui accourt au moindre coup de sifflet du Dark Knight, sans poser de question: de son propre aveu, tout ça le dépasse, et la méthode de Batman donne des résultats. Il affronte les Mutants avec une brutalité incroyable, mais réalise qu'ils sont désormais trop nombreux, et qu'ils n'ont plus peur de personne, puisqu'il leur a montré pendant des années qu'on pouvait violer la loi en toute impunité, pour peu qu'on soit assez fort et audacieux pour cela. Du coup, que fait-il? Il entre dans cette logique. Il affronte en duel le chef des mutants à mains nues pour prendre sa place de leader. Il fait ça avec une brutalité inouïe, brisant tous ses membres un par un. C'est désormais Batman le plus fort, les Mutants le suivent donc au front, sans avoir ses quelques scrupules, agressant, tuant, quand c'est faisable, quiconque s'écarte un tant soit peu du droit chemin. Et les super-méchants dans tout ça? Ils cherchent la confrontation avec leur ennemi de toujours, celui qui les a humiliés, les a laissés vivre mais remis à la police, se posant en dominateur... face à des chiens fous, il n'y a pas meilleure provocation. Le Joker et Double-Face, entre les mains de psychologues qui ne les comprennent pas, retrouvent une relative respectabilité, dont ils profitent pour mettre en oeuvre leur génie meurtrier. Batman doit faire un pénible constat: son jeu sadique est à l'origine de toutes ces morts, s'il voulait se substituer à la loi, il devait aller jusqu'au bout, accepter d'avoir du sang sur les mains. Peu à peu, à travers cela, la pression ininterrompue de l'opinion publique et ses confrontations avec son ami de Metropolis, il réalise qu'en voulant assouvir sa vengeance et établir un simulacre de sécurité et de justice, il n'a fait que créer un univers monstrueux, faible et incapable de se redresser seul, en plus de faire preuve d'une ingratitude incroyable. La nouvelle crise que traverse Gotham sera donc la dernière qu'il connaitra: galvanisant ses troupes, il les lance à la rescousse de tous les innocents de Gotham, pour ensuite s'évaporer avec la jeunesse perdue qu'il a engendrée. Mort aux yeux de tous, peut-être pourra-t-il transformer leur énergie destructrice en énergie positive, dans un monde où il n'y a plus destruction mais construction.

/!\fin des spoilers/!\

Oui, ce Dark Knight Returns est difficile à comprendre. On est vite tentés de voir en ce Batman cynique et cruel le seul homme lucide dans un monde fou, le seul qui sait lutter contre tous les ennemis de Gotham City, alors que les flics lui courent bêtement après. Bien entendu, la réalité est plus complexe que cela, et c'est seulement quand on voit plus loin que l'oeuvre confine au génie scénaristique. Si je m'en étais tenu à ce Batman d'extrême-droite présenté en héros, j'aurais certainement descendu ce comics en flèche. Mais de nombreux indices disséminés un peu partout, tout comme la fin ambigüe montrent clairement qu'il faut réfléchir un peu plus. Frank Miller précise en préface que ce bouquin est issu d'un intense travail scénaristique et de la réunion de nombreux esprits, et on peut le croire aisément. Il fallait quelqu'un qui aime réellement ce personnage pour appuyer aussi fort sur ses faiblesses, quitte à le blesser gravement... ou mener à une prise de conscience heureuse. The Dark Knight Returns est à la fois un testament et un certificat de naissance... Mais pas nécessairement de la façon dont on le croit.

Visuellement, il s'agit également d'une oeuvre d'art: le dessin sans concession tranche radicalement avec l'image du héros parfait, tandis que la couleur insuffle une âme sans précédent aux planches.

Si je devais reprocher quelque chose à The Dark Knight Returns... c'est d'être trop complexe et trop ambigu. Il est facile de projeter des idées préhistoriques dans ce récit, surtout lorsqu'on connait certaines des opinions que Frank Miller clame faire siennes. Toutefois, comme dans tout comics, il est capital de se rappeler qu'on se trouve dans un monde parfaitement imaginaire, dans lequel le justicier a un rôle à jouer, dans lequel son environnement constitue une extension de lui-même. Gotham City est l'esprit de Batman, sa prison, son délire... et seulement lorsqu'il aura vaincu ses démons, il peut aller mieux. Tout comme Gotham...

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le 2 juil. 2013

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Antevre

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