Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2008. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre.


Les 6 premières pages servent à présenter le personnage principal : Raymond Delgado. Cet homme d'une trentaine d'années est une force de la nature, il a le crâne rasé et il porte des lunettes. Dans son enfance, il a été victime d'abus sexuels de la part de son père et de son oncle. Il a été le souffre-douleur des enfants de son âge. Il a été traumatisé (à nouveau) par son expérience de soldat pendant la guerre. Il est interné dans une prison de très haute sécurité, condamné pour avoir tué 21 personnes (au moins). Aujourd'hui il est transféré dans une prison appelée Hoxford, avec un groupe d'autres détenus aussi monstrueux dont Morton (violeur d'enfants multirécidiviste), Burly Bill (violeur et meurtrier multirécidiviste) et Skinny (meurtrier et nécrophile). Les conditions d'incarcération à Hoxford sont sévères, ce qui n'empêche pas quelques dérapages sous les douches, ou dans les parties communes. Le docteur Jessica Ainley qui suivait le traitement psychiatrique de Delgado se rend à Hoxford pour contrôler ses conditions de détention. Elle découvre que l'administration de la prison ne délivre pas les médicaments aux prisonniers. Mais elle va bientôt en savoir plus car sa visite tombe le jour où les responsables de Hoxford célèbrent un rituel séculaire.


Dans l'introduction, Ben Templesmith explique qu'il avait toujours méprisé les loups garous dans le bestiaire des monstres horrifiques car il estime qu'ils font trop dessins animés, et pas assez peur. Or lui ce qu'il aime, c'est l'horreur qui fout la trouille, qui est contre nature, qui est perverse, malsaine, et primale. Il est le co-créateur avec Steve Niles de la série 30 jours de nuit. C'est également un illustrateur très particulier qui est connu pour avoir dessiné Fell de Warren Ellis.


Ce tome commence comme un film de série Z qui se prend au sérieux en listant tous les sévices qu'a subis Delgado et en le décrivant comme une grosse brute énigmatique, victime de délires hallucinatoires. Il est dangereux, il a tué à plusieurs reprises et il est enfermé avec d'autres ayant commis des actes tellement barbares que la société souhaite les oublier, faute de pouvoir les exécuter du fait de l'absence de peine de mort. Ces individus aiment surtout parler de leurs crimes immondes et promettre qu'ils s'entretueront à la première occasion, avec sévices sexuels à la clef. Les dialogues sont malsains et il est visible que Templesmith raconte son récit au premier degré, sans aucune ironie.


Arrivé à Hoxford, Templesmith introduit le responsable de l'établissement qui semble sadique à souhait, et le docteur Ainley qui semble destinée à être la frêle jeune femme qui jouera le rôle de l'otage. Mais petit à petit, les éléments graphiques attirent l'attention du lecteur sur des détails qui renforcent le premier degré d'une manière sinistre qui force son implication. Il est assez difficile de décrire le style de Templesmith. L'histoire commence avec une pleine page de la tête du père de Raymond Delgado s'apprêtant à le maltraiter alors qu'il est encore enfant. L'image est baignée dans une teinte jaune orangé évoquant la lumière crue d'une ampoule non protégée, mais qui n'arrive pas à dissiper la noirceur du monde. Son père est fort et gras, il a un visage asymétrique avec des yeux de taille différente, un gros pif, une grimace qui lui découvre 24 dents (anatomiquement impossible) et il est vêtu d'un marcel qu'on suppose crade. Il n'y a aucune information visuelle sur le lieu. En fait la scène suivante avec les persécuteurs de l'école baigne dans la même lumière, toujours sans décors, et il en va de même pour la scène sur le champ de bataille. Il faut presque attendre le voyage en bus pour commencer à voir apparaître les bancs improbables et les chaines qui assurent l'immobilité des prisonniers. Par contre quand Jessica Ainley se tient à l'extérieur de Hoxford, Templesmith utilise l'infographie pour insérer une photographie retouchée d'un bâtiment en fond de case. Il sur-imprime parfois des trames aux dessins pour leur donner une texture. La prédominance des couleurs sombres et des contours de formes délavées demandent une forte attention du lecteur qui s'implique dans l'observation des cases. Le rendu des personnages oscille entre la caricature avec un langage corporel exagéré et des formes parfois proches de l'esquisse rapide. Parfois Templesmith choisit de privilégier l'impact visuel au détriment de tout réalisme en tirant ses représentations vers le symbolisme ou l'abstraction. Il ne représente plus vraiment la réalité de l'action, mais plus l'idée sous-jacente, l'impression, les sensations.


Ben Templesmith ne s'embarrasse pas de réalisme et il joue avec son lecteur en le contraignant à vraiment regarder ses illustrations par des teintes très sombres et des contours difficiles à distinguer. Du coup, quand il focalise une case sur une action ou une anatomie détaillée, l'implication du lecteur est plus importante et les détails s'incrustent dans sa rétine. Le lecteur perçoit l'intensité de Raymond Delgado, et sa distance par rapport à ce que tout le monde s'accorde à être la réalité. L'apparence singulière des monstres devient immonde grâce à la forme abjecte de leur dentition, leur salive, etc. Bien sûr ces éléments ne sont pas nouveaux, mais la représentation de Templesmith leur rend toute leur horreur, leur impossibilité, leur inhumanité. Le lecteur est sorti de sa zone de confort pour découvrir des individus abjects confrontés à des créatures monstrueuses. Le style graphique sophistiqué et intellectualisé de Templesmith empoigne le lecteur et le plonge dans les sensations, dans le ressenti pour mieux le choquer et l'atteindre. Par exemple, Delgado mord un prisonnier après la douche. La case en question baigne dans un camaïeu de vert légèrement cafardeux qui recouvre indifféremment le fond indistinct et les personnages. Il y a un gros effet sonore "CHOMP", presque comique, le buste du prisonnier vu de devant et la tête de Delgado derrière dont les dents se fiche dans le cou du prisonnier. À part l'effet sanguinolent et l'impact de la prise de Delgado pour maintenir sa victime, le dessin reste assez retenu (pas de jet d'hémoglobine, pas de morceau déchiqueté dans la bouche, pas de détails chirurgicaux). Du coup, le lecteur scrute la case suivante pour se rendre compte des dégâts. Or l'illustration n'est pas plus précise, le plan n'est pas plus rapproché, il faut donc bien regarder pour voir le morceau qui manque, et le lecteur se retrouve pris en flagrant délit de voyeurisme nauséabond.


Cette histoire met en scène des criminels immondes confrontés à des créatures inhumaines, pour un massacre gore et sanglant. Le savoir faire de Ben Templesmith, son talent de conteur, permet de rendre viscérale cette histoire classique.

Presence
9
Écrit par

Créée

le 14 mars 2020

Critique lue 98 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 98 fois

D'autres avis sur Bienvenue à Hoxford

Bienvenue à Hoxford
Iaoranamoana
6

Critique de Bienvenue à Hoxford par Iaoranamoana

Une idée intéressante, un institut hors de l'institution pour les détenus les plus dangereux, ou quand les chasseurs deviennent chassés. Malheureusement le comic se finit abruptement, sans véritable...

le 28 déc. 2019

1 j'aime

Bienvenue à Hoxford
JunonBee
6

Critique de Bienvenue à Hoxford par JunonBee

Un volume unique qui se lit sans déplaisir mais qui ne déclenche pas vraiment l'enthousiasme. le graphisme de Templesmith séduit toujours mais on regrette la liénarité du scénario. Dommage car il ya...

le 22 mai 2012

1 j'aime

Bienvenue à Hoxford
Sydius
8

Critique de Bienvenue à Hoxford par Sydius

J'adore Templesmith, je ne suis pas très objectif. En même temps mon avis est rarement objectif, puisque c'est mon avis. En plus j'ai adoré le court-métrage/fan-film "Welcome to Hoxford" (ici-même...

le 13 févr. 2013

1 j'aime

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime