Brunilda à la plata
7.2
Brunilda à la plata

Roman graphique de Genis Rigol (2025)

Il est très difficile de parler d’une œuvre comme celle-là, qui sort des codes de la BD traditionnelle et plaira à coup sûr aux amateurs d’OVNI. Le reste des lecteurs risquent en revanche de rester sur le carreau. Car « Brunilda à la Plata » ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement. Le mieux est peut-être de n’avoir aucun a priori et se laisser porter par cet étrange récit pour mieux y accéder.

Car, c’est certain, « Brunilda à la Plata » déroute, interroge, agace, surprend, tenant constamment le lecteur à distance avec mille digressions imprévisibles et en apparence dénuées de sens. Visiblement, cette bande dessinée tenait à cœur à son auteur, Genís Rigol. Il a pour cela été soutenu par ses proches et amis dans sa conception, et l’éditeur Virages graphiques semble avoir été tout autant convaincu, au vu du superbe travail d’édition réalisé en grand format. Rigol s’est librement inspiré d’un de ses rêves, ce qui explique la tonalité très onirique de l’objet. Par un procédé de mise en abyme, où le réel se confond avec l’imaginaire, l’auteur nous met dans la position de spectateur d’une représentation théâtrale totalement absurde dont le dénouement n’a pas encore été écrit, évoquant ainsi les affres de la création artistique.

Les personnages, plus ou moins polymorphes, évoluent dans une sorte de sarabande chorégraphiée au milieu de vastes décors géométriques rappelant plus ou moins l’art abstrait de Kandinsky. Comédiens, techniciens et régisseur s’affairent dans tous les sens, en attendant que le dramaturge (« M. le dramaturge »), en proie à la panique, trouve une conclusion à la pièce en train de se jouer sous nos yeux. Pendant ce temps, Norman, un être lunaire, un peu maladroit et quasi silencieux, est enrôlé dans la troupe sans avoir rien demandé. Le jeune homme veut juste retrouver celle pour qui il vient d’avoir un coup de foudre, Brunilda, dans le restaurant La Plata connu pour ses délicieux anchois et poissons frits… Pour y aller, il faudrait qu’il traverse la scène, ce qui risquerait de perturber davantage la représentation.

Soumis à l’intense pression de la page blanche, Mr le dramaturge cherche comment accoucher du chef d’œuvre qui suscitera l’admiration de tous, en particulier de cette mystérieuse Zelmira venue assister à la Première et dont l’avis compte plus que tout aux yeux de celui-ci. Le problème, c’est que notre dramaturge est saisi par le doute, convaincu d’être un auteur médiocre et qui plus est peu soutenu par son conseiller personnel, sorte de Gemini Cricket dénué d’empathie…

La partie graphique, plutôt originale, est le premier atout de l’ouvrage, suscitant d’emblée l’intérêt rien qu’en feuilletant quelques pages. Genís Rigol recourt un style un brin vintage, qui pourrait être un croisement entre Winsor McCay, et donc un clin d’œil possible à « Little Nemo », personnage qui évoluait lui aussi dans le monde des rêves, et Joost Swarte, auteur underground qui avec sa ligne claire moderniste faisait la part belle à une architecture épurée et aux espaces géométriques.

Faut-il obligatoirement trouver un sens à une œuvre dans un monde qui semble souvent n’en avoir aucun ? Qu’est ce qui définit un chef d’œuvre ? Telle est la question centrale de cet étrange objet dénarrativé, qui a au moins le mérite de pousser à la réflexion avec ses textes ciselés et sa touche ironique voire acerbe. Une œuvre qui peut nécessiter plusieurs lectures tant elle joue sur l’absurde, le secret étant peut-être d’accepter de ne pas tout comprendre pour pouvoir assembler les éléments du puzzle. Et il n’est pas impossible de finir par l’apprécier, le temps qu’elle se diffuse à travers vos neurones incrédules ! Quant à savoir si « Brunilda à la Plata » est un chef d’œuvre ou pas, je dirais que la réponse est dans son propos lui-même. Pour cela, il appartiendra à chacun de se faire sa propre opinion.


LaurentProudhon
7
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le 9 juin 2025

Critique lue 10 fois

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