Carnets de thèse
6.9
Carnets de thèse

Roman graphique de Tiphaine Rivière (2015)

J'ai bien fait de ne pas faire une thèse

Souvent, je commence ces critiques en parlant de moi. Parce que mon avis est purement subjectif et que ce que j'ai expérimenté avant d'accéder à une oeuvre, et comment je suis arrivé jusqu'à elle, permet de mieux expliquer ce que j'ai ressenti en la lisant.


Ca n'a jamais été aussi vrai que pour Carnets de Thèse.


Il n'y a que quelques années où j'ai été sommé de bifurquer: soit partir dans une thèse (en droit), soit quitter l'université et m'insérer dans le champ professionnel. Au contraire de plusieurs de mes amis, j'ai choisi la seconde voie.


Bien m'en a pris.


Tiphaine Rivière, à travers le personnage de Jeanne, nous livre en fait un récit largement autobiographique: celui d'une jeune thésarde perdue dans les imbroglios administratifs de l'université, l'incompétence de son personnel, la mauvaise foi de ses collègues, l'hypocrisie de ses "professeurs". Le tout avec, malgré tout, beaucoup d'humour.


Mais ce qui fait tout le sel de cette BD, ce n'est ni son humour ni son trait - qui sont très bons - mais son côté particulièrement réaliste.
Oui, moi aussi, j'ai eu une Brigitte Claude dans ma faculté, qui répondait "y'a personne" quand on frappait à la porte et qui ne décrochait son téléphone que si quelqu'un entrait dans son bureau.
Oui, moi aussi, j'ai eu beaucoup d'Alexandre Karpov comme professeur, qui font semblant d'écouter leurs étudiants dans le seul but de s'en débarasser le plus vite possible.
Oui, moi aussi, j'ai eu la version concours/examens du condisciple qui refuse - avec le sourire - de me filer un coup de main sous des prétextes bidons.
Oui, moi aussi, j'ai été chargé de travaux dirigés et on ne m'a payé que 3 mois après la fin de mes cours, et uniquement parce que j'avais accepté de payer en premier pour faire une inscription fictive.
Oui, moi aussi, je me suis heurté à l'incompréhension et l'incrédulité de ma famille quand je tentais de leur expliquer, dans les niveaux avancés, ce sur quoi je bossait.
Et, sans faire de thèse moi-même, moi aussi j'ai des amis en thèse qui ont rompu leur couple, qui se sont retrouvés perdus, sans soutien scientifique et sans financement, submergés par leur sujet de thèse qui finit par revenir dans toutes leurs conversations, et qui savent pertinemment que leur thèse déboucherait sur une impasse s'ils ne décrochaient pas derrière la sacro-sainte habilitation du CNU.


Heureusement, j'ai aussi rencontré des enseignants soucieux de leurs étudiants, excellents pédagogues et qui savent donner goût à leur matière. Et mes amis, quoique sous pression, restent heureux parce qu'ils font ce qu'ils aiment.


Loin d'être "anti-système", l'ouvrage de Tiphaine Rivière est en fait, par le biais de l'humour, une critique constructive de l'université français et de ses dérives. Qu'elle s'interroge enfin sur elle-même et se montre à la hauteur de ses ambitions et de ses talents.

FullLegal
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le 7 juin 2015

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