Une BD "psychologique" longuette et au scénario assez faible.

Cette BD semble rencontrer son petit succès populaire et critique (autant qu'on peut en juger au doigt mouillé en se baladant sur le net). Cela peut déjà s'expliquer un peu superficiellement par une couverture magnifique, qu'on dirait plus taillée pour une BD de fantasy métaphysique à la Jodorowsky que pour une fable psychologique de (finalement) peu d'ampleur! En tout cas, le qualificatif de "chef-d’œuvre" que j'ai croisé par-ci par-là pour qualifier cette BD me semble tout à fait inapproprié, surtout en comparaison d'autres vrais chefs-d’œuvre "psychologiques" d'inspiration assez proche que j'ai vu passer ces derniers mois (je pense par exemple à "Your name" de Makoto Shinkai au cinéma, ou encore à l'excellente BD "Patience" de Daniel Clowes, qui font absolument mieux en tous points, graphique et narratif, que ce "ces jours qui disparaissent").


Pour commencer, le dessin, une fois la BD ouverte, s'avère en comparaison de la couverture un peu décevant: le trait en ligne claire, lorgnant de toute évidence également vers le manga, est suffisamment maîtrisé pour conserver l'attention du lecteur, mais sans plus; à aucun moment on ne s'arrêtera devant la beauté d'un décor ou d'une mise en page. Plus dérangeant, les couleurs sont absolument affreuses!!! Le dessin n'est clairement pas mis en valeur par des gammes de couleur ignobles et des aplats sans finesse (peu d'ombres, de dégradés, etc.).


Mais là où le bas blesse, c'est, de mon point de vue, surtout du côté du scénario. Si la BD ne m'a pas tant déplu que ça sur le moment, mon agacement à son sujet n'a en fait cessé de croître en y repensant les jours (et les semaines) suivantes. La critique qui va suivre englobe ainsi d'autres BD psychologisantes (et françaises...) qui me sont tombées dans les mains dernièrement. Je pense en particulier à "La page blanche" de Pénélope Bagieu et Boulet, qui souffre largement des mêmes travers (mais qui avait au moins pour lui un dessin plus séduisant...).
Dans les deux cas, on a pour commencer une base psychologique pour le moins irréaliste (une amnésie soudaine et totale pour l'une, un dédoublement de personnalité assez radical pour l'autre); dans "ces jours qui disparaissent", l'irréalisme découle surtout d'une caractéristique (certes assez poétique sur le papier) qui fait que notre protagoniste principal ne sera plus "lui-même" qu'un jour sur deux (pour commencer...), d'une façon quasi-mathématique. En soi, je n'ai rien contre les hypothèses narratives irréalistes sur un plan psychologique (cf. encore Your Name et Patience dont les prémisses sont tout aussi irréelles); par contre, je ne vois pas l'intérêt de recourir à de telles constructions si c'est pour déboucher sur des développements somme toute assez pauvres, qui ne vont finalement pas beaucoup plus loin qu'un "suivi clinique" de l'avancée de la maladie dans "ces jours qui disparaissent". On est au final à des kms des développements hyper-ambitieux et à large échelle, spatiale et/ou temporelle, des contre-exemples cités plus haut. Là, on reste, comme dans "La page blanche", sur une bd largement égo-centrée et donc étriquée (ou, pour le dire plus vulgairement, qui "pète plus haut que son cul").
Pire encore, "la page blanche" et "ces jours qui disparaissent" débouchent sur un discours existentiel affreusement manichéen et prescriptif, affirmant sans grandes nuances que, dans les grandes lignes, votre vie est totalement bidon si vous n'êtes pas un artiste ("ces jours qui disparaissent") ou si vous vous pliez aux diktats sociaux du boulot/métro/facebook/dodo ("la page blanche"). Ainsi, dans les deux BD, une des deux personnalités est clairement présentée comme le mal, alors qu'on aurait désespérément attendu des développements plus complexes et fins (à cet égard, il est vraiment dommage que l'auteur n'ait pas davantage creusé les potentialités en termes de collaboration entre les deux personnalités...).


Last but not least, la BD est beaucoup trop longue: 200 pages et quelques pour un contenu si pauvre, c'est bien dommage, alors que le tout aurait facilement pu tenir en 60 pages; on aurait par exemple préféré, sur une telle longueur, plusieurs histoires, où l'auteur aurait pu développer davantage son imaginaire...


Conclusion: une déception pour une BD qui a tout d'une BD de jeunesse, avec toutes les erreurs qui vont avec. L'auteur a pourtant clairement un gros potentiel, s'il parvient à mieux exploiter ses idées de départ, si son discours gagne en finesse et en expérience...et s'il vire son coloriste (où qu'il en engage un si c'est lui-même qui s'en est chargé pour cet album)!

Tibulle85
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le 31 déc. 2017

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Tibulle85

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