J'ai trouvé ce Josei sur la pile des nouveautés en section BD et quand j'ai vu ce jeune Papa coiffeur tenant la mains de son fils, j'ai craqué pour ce manga.



Riku Haruta et sont fils Issei s'établissent de manière un peu précipité sur l'île qui porte leur nom, Haruta, dans la préfecture d'Okinawa. Île magnifique et relativement petite, on n'y trouve pas les commodités usuelles que dans les îles principales et y tenir un commerce n'est pas chose aisée. C'est pourtant le paris que fera Riku, coiffeur-visagiste, sur une île où les gens se coupent généralement les cheveux eux-même. Son objectif réel est cependant d'offrir un mode de vie moins stressant à son garçon, qui semble avoir une forme de mutisme sélectif et de l'anxiété. Néanmoins, Riku ne sembla pas étranger à l'anxiété, lui non plus.



C'est un manga tranquille, ne vous attendez pas à de grandes péripéties. Il s'agit du processus d'adaptation d'un papa monoparental, qui a hérité de son garçon quelques temps après sa naissance- années ou mois, ce n'est pas préçisé. Sa conjointe se disait incapable d'être parent et a décidé de quitter le pays pour son travail. Riku se retrouve donc parent sans avoir connu la grossesse et les premiers temps de vie de Issei. Il a donc beaucoup de pression sur les épaules et il semble s'en mettre beaucoup lui même. Néanmoins, il a aussi une affection bien réelle pour son fils, peut-être même une tendance à être papa-poule. Il s'en fait beaucoup pour des choses relativement anodines. Je sens donc une tendance anxieuse quelque peu fusionnelle avec Issei. En même temps, Riku provient de Tokyo, il a donc un rythme de vie qui contraste avec celui des insulaires, beaucoup plus posés, et qui explique sans doute un peu sa propension à vouloir tout régler rapidement.



Riku est un parent qui doute de ses compétences parentales, est particulièrement inquiet que son fils s'inquiète, mais empêcher de vivre le sentiment inquiétude ne fera pas disparaitre l'anxiété. Il faut apprendre à le gérer. En ce sens, je le trouve très protecteur, peut-être même trop. Comment Issei fera-t-il des apprentissages sans la latitude requise pour le faire? Toutefois, on le verra plus vers la fin, les autres adultes lui font une remarque similaire. Issei a plus de ressources que Riku le croit, il faut donc qu'il apprenne à faire confiance à son fils, tout en se faisant confiance lui-même. Également, je remarque que Riku a tendance à infantiliser son fils, notamment avec ce qualificatif de 'si petit", qui revient souvent. Un enfant de neuf ans, même de taille petite, n'est plus un jeune enfant, il me semble donc que Riku voit son fils plus fragile et vulnérable qu'il ne l'est en réalité.



Enfin, c'est très amusant de voir ce coiffeur avec une coupe tout en mèches rebelles, façon "Édouard aux mains d'argent". Ça lui va très bien, mais je vois que ça perturbe grandement les autres personnages. Je me fais la réflexion que les japonais n'ont généralement pas la même liberté capillaire que les occidentaux, parce que les colorations et les styles volontairement "rebiqués" semble toujours sous-tendre soit des rebelles, soit des artistes, soit des marginaux, dans les mangas réalistes.



Issei, pour sa part, ne parle pratiquement pas, mais il peut parler. C'est ce qui me fait croire qu'il a ce qu'on appelle un mutisme sélectif, associé à l'anxiété ou à la phobie sociale. Ce n'est pas un état volontaire, c'est un trouble. C'est toute-de-même un personnage attachant. Il semble rempli de bonne volonté, a un attachement sincère pour son papa maladroit et cultive beaucoup d'intérêt pour son environnement. Il a neuf ans et comme le souligne les adultes autours de lui, changer de milieu, c'est beaucoup de changement pour en enfant.



Mention rapide que je trouve importante: On aborde encore trop rarement le fait que certaines femmes ne sont pas faites pour être mères, pour toutes sortes de raisons toutes recevables. Je ne dis pas que d'abandonner son fils est un acte justifiable, mais la question se pose: Met-on trop de pression sur les femmes pour être des mères, sans même tenir compte de leurs désirs et de leur personnalité? Un peu de la même manière qu'on banalise le rôle du père, trop souvent considéré secondaire, voir facultatif? Ici, nous avons une maman qui a clairement un enjeu sur cette question et un papa qui au contraire, montre une identification sincère au rôle de papa, même si elle est encore teintée de manque de confiance et de maladresse.



On n'a pas toujours l'impression que le rôle du papa a le même degré d'importance que celui de la mère dans nos sociétés occidentales, et je me demande s'il en est de même au Japon. Ici, c'est l'occasion de donner la tribune à un type de papa que je vois très peu, non seulement en raison de son métier, mais aussi de son profil psychologique. Riku est peut-être un peu maniaque et anxieux, reste que c'est un père tendre, affectueux et réellement mobilisé pour son fils. Des qualités indéniables. Il a aussi cette façon de tirer l'extraordinaire de situations atypiques, comme ce signe militaire au "sergent" ( une grosse araignée décrite comme "un trésor qui mange les cafards" par la Mme Satoshi, chargée de les accompagner dans leur intégration). Ce salut militaire sera mainte fois repris dans leur quotidien d'ailleurs. Il y a aussi cette pièce au toit percé qui a un trou aussi dans le tatami, dont le centre est couvert d'herbes. On se croirait dans un jardin intérieur. Riku pourrait faire comme les parents standards et réparer la pièce, mais Issei adore cet endroit. Riku décide alors de laisser la pièce en l'état.



Avec douceur et avec pertinence, l'auteur articule donc quelque chose de léger et profond, questionnant le rapport d'un père avec son fils, sur certaines différences ou nuances entre milieu urbain et milieu campagnard, surfant aussi sur le thème de l'adaptation, de l'auto-pression parentale et de la quête d'équilibre psychique.



Au-delà de la relation père-fils, le thème central, il y aussi le thème de l'interaction entre les insulaires et les urbains. Non seulement ne tiennent-ils pas le même rythme de vie, les insulaires n'ont pas toujours un contact facile avec les nouveaux arrivants, dont certains ne parviennent pas à s'adapter, malgré l'accueil chaleureux des habitants. Un bon comme le film "La grande séduction", la manga relate la difficulté des urbains à vouloir vivre dans des lieux où les commodités sont différentes. On en revient donc à l'adaptation. le soucis que ce thème sous-tend pour les insulaires est leur capacité à garder un nombre stable d'habitants dans leur île. C'est un sujet qu'on voit aussi dans les villages de campagne, cette question.



Côté graphique, c'est joli et doux. La nature est magnifique, avec ses fleurs, d'arbres majestueux, ses étendues herbeuses et ses plages tranquilles. Un coin de paradis, quoi. Les personnages ont beaux également, sans clichés de manga que je n'apprécie plus de tout comme ces affreuses gouttes d'eau derrière la tête pour marquer le découragement ou l'exaspération, ou encore ses veines saillantes en forme d'étoile pour l'émotion colérique.



Ça fait du bien à l'occasion de sortir des livres addictifs pour leur action à fond de train, pour essayer quelque chose de plus posé, mais aussi plus profond. Au final Riku voulait régler pleins de choses en même temps, mais il aura fait des choses assez différentes et pas dans les délais qu'il se prescrivait. Mais c'est un peu ça aussi le changement de mode de vie: Il faut aussi se laisser surprendre et véritablement reconsidérer certaines choses, dont leur priorité. Je me demande comment il s'en sortiront ces deux personnages, ce qui me fait dire que je vais suivre le manga dorénavant.



Une sympathique trouvaille qui sort du carcan traditionnel des mangas, je trouve. Ou alors je ne connais peut-être pas bien les Josei, c'est aussi possible.



Pour un lectorat adulte ( ou les lectorat ado et jeune adulte qui s'y intéresseront.

Shaynning
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le 8 mai 2023

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