Que se passe-t-il dans la tête de l’homme qui s’apprête à en exécuter un autre ? Quel sentiment le traverse, d’où naissent ses motivations ? A ces questions, auxquelles il est déjà difficile de répondre en temps normal, s’ajoutent, dans le cas du Che, plusieurs incertitudes ? Ernesto Guevara, par exemple, était médecin, un enfant connu pour sa compassion, ses rêves, et sa fragilité. Tant de traits de caractère ne le destinaient pas à prendre les armes. Et pourtant.

Ainsi s’ouvre cette hagiographie militante, sur une page faussement anodine, soulevant d’ores et déjà des questions presque métaphysiques. Le Che, allongé dans les branchages, tient en joue un ennemi et rumine : « Je dois t’abattre mon petit soldat… Le prix de toute cette misère… Je dois t’abattre mon petit soldat». La page suivante voit la tête voler en éclats, l’encre noire dessinant une gerbe de sang sur le sol blanc. Et aucune once de gris. Ni dans le décor, ni pour nuancer la distance qui sépare la barbarie du geste du chagrin exprimé.

Les chapitres suivants alternent les derniers moments de sa vie et les grands épisodes du passé. Les deux hommes, l’enfant et l’adulte, le révolutionnaire baigné de gloire et le politique désabusé, avancent en parallèle. On connait déjà la conclusion : le héros mourra pour sa cause. Mais là n’est pas le sujet. Il s’agit plutôt de retracer comment le fragile Ernesto et le guerrier déterminé à se sont retrouvés, à un moment, dans la peau d’un même individu.

Réalisé par les plus grands maitres de la bande dessinée panaméricaine, dans une Argentine en proie à une dictature militaire, ce Che est loin d’être un document comme les autres. Œuvre complexe, mêlant esthétique abrupte et romantique, elle se montre particulièrement sombre et dépressive pour une hagiographie militante. Il faut dire que le révolutionnaire cubain, seul espoir d’un continent oppressé, vient de mourir quelques mois auparavant.

A sa publication, en 1968, le livre connait un succès foudroyant. Jusqu’à ce que le pouvoir l'interdisse en 1973 et menace les trois auteurs. Presque tous les exemplaires en circulation sont détruits. Les Breccia père et fils enterrent les planches originales dans leur jardin, Oesterheld rentre en clandestinité. Ce dernier, activiste révolutionnaire, sera bientôt enlevé, torturé, puis tué, tout comme ses quatre filles. Aujourd’hui, noyé dans la modernité, Che Guevara a tristement perdu de sa puissance politique. Mais à travers ce chef d'œuvre, c’est la complexité de son action, mêlant humanisme, violence et d'obstination, qui est réévalué.

S; Bapoum pour les Inrockuptibles
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le 21 juil. 2012

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