Ce tome fait suite à Gideon Falls, Tome 2 : Péché originel (épisodes 7 à 11) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome. Il comprend les épisodes 12 à 16, initialement parus en 2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il comprend les couvertures originales de Sorrentino, et également les couvertures variantes réalisées par Ming Doyle, Gabriel Walta, Veronica Fish, Ariela Kristantina, Ray Fawkes.


En 1886, le shérif et deux habitants viennent trouver le père Burke dans son église. La disparition d'Abel Lacroix a été signalée par sa femme et ses enfants. Cette fois-ci, on sait qui a fait le coup : Norton Sinclair. C'est clair : Norton Sinclair est le tueur. Le petit groupe se rend à cheval jusqu'à la maison de Norton Sinclair. L'un d'eux donne un grand coup de pied dans la porte. Ils découvrent un individu penché sur le cadavre d'Abel Lacroix dont le torse est éventré et dégoute de sang. Le tueur relève la tête : c'est l'homme qui rit, un individu à la peau grise, au sourire trop large avec trop de dents. Il s'adresse directement au père Burke. Il lui dit qu'il a brisé le mur et qu'il a découvert tout, qu'il a trouvé partout. Il ajoute qu'il est celui qui sourit dans les ténèbres et qu'ils se reverront bientôt. Le père Burke s'élance à sa poursuite et éprouve la sensation de tomber du ciel vers une cité avec des immeubles, un immense parc et des dirigeables.


Le père Burke reprend lentement conscience, couché sur le sable d'une zone désertique, un scorpion passant devant ses yeux. Il se lève et se met à marcher vers la ville située au pied d'une mesa. Dans la rue en terre, il observe des cadavres, une femme en pleurs, un habitant qui lui dit qu'il ferait mieux de partir. Il entre dans le saloon et demande s'il peut être servi. Il descend un verre de whisky et demande où est parti l'individu qui a massacré les individus dans la rue. Jed Hopkins, le barman, répond qu'il est parti à cheval il y a une heure, poursuivi par le shérif et quelques hommes. À la demande du père, Jed Hopkins lui dit qu'il prendre son cheval attaché à côté. Juste en franchissant les portes battantes, le père Burke demande le nom de la ville : Gideon Falls. Après quelques heures de chevauchée, au crépuscule, il retrouve le shérif et ses hommes. Ils sont tous morts, crucifiés. Le père Burke se retourne et voit l'homme qui rit à l'entrée d'une grange noire dont l'intérieur semble être éclairé en rouge.


La fin du tome précédent était assez cryptique, et le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre dans ce tome. Malgré une intrigue qui donne parfois l'impression de se contenter d'aligner les clichés, et des dessins tellement épurés qu'ils donnent parfois l'impression d'être inconsistants, le lecteur revient quand même, un peu pour les couvertures ingénieuses, un peu pour l'atmosphère délétère, un peu pour savoir ce qu'il va advenir de Norton Sinclair et de son obsession pour les échardes, un peu pour savoir si le fond du mystère entourant la porosité de la réalité sera développé, pas du tout pour cette grange noire au symbolisme vide. Effectivement la couverture de ce recueil (celle de l'épisode 13) est une fois encore magnifique jouant sur la paréidolie entre les mécanismes d'horlogerie et le visage humain. Celle de l'épisode 12 joue aussi sur la ressemblance de forme entre un visage et une corde très particulière, et celle de l'épisode 14 est encore plus ambitieuse. Celles des épisodes 15 et 16 sont plus classiques. Parmi les couvertures variantes, celle réalisée par Ray Fawkes est la plus singulière, ce qui est logique au vu de ses propres créations comme la série Underwinter.


S'attendant quasiment à un tome sans surprise, le lecteur ressent plus l'atmosphère unique qui règne dans ces pages. Il est d'abord frappé par cette sensation pesante et voit qu'elle découle beaucoup de la mise en couleurs. Dave Stewart choisit des teintes sombres pour chaque couleur, un peu délavées. C'est même très surprenant comment il arrive à faire en sorte que le rouge plutôt vif utilisé pour l'éclairage intérieur de la grange noire donne également l'impression d'être sombre. Même s'il y a une majorité de scènes nocturnes ou de fin de journée, celles qui se déroulent en plein jour semblent aussi baignées dans une lumière filtrée, privée de toute sensation de chaleur. Il perçoit mieux comment la conjonction de traits de contour fins et fragiles et d'aplats de noir irréguliers montre une réalité râpeuse, cassante, friable et rêche. Les personnages évoluent dans des endroits à la fois décrits précisément, à la fois difficiles à appréhender entièrement. Cela s'avère à la fois déstabilisant et inquiétant à la lecture. Andrea Sorrentino joue également habilement sur la variation de la précision de la description. Le lecteur passe d'un grain de bois qu'il a l'impression de toucher en page 2, à un fond noir pour toute la page 3 le père Burke étant entièrement accaparé par le cadavre et l'individu penché dessus, la page donnant l'impression de voir la scène par ses yeux, avec un esprit focalisé sur les individus, oblitérant totalement ce qui les entoure. L'artiste réussit parfois cet effet au sein d'une même case. Le père Burke se retrouve dans un étrange village. Alors qu'il se tient dans une pièce en train d'observer une carte, une femme âgée apparaît dans l'embrasure de la porte. Son visage est détaillé, ainsi que les montants de la porte, mais l'espace derrière elle est totalement vide, comme s'il n'y avait rien. Là encore, le lecteur éprouve la sensation que l'esprit du père Burke se focalise entièrement sur la personne et son cadre (les montants de l'embrasure).


Est-ce l'intrigue de ce chapitre, ou autre chose, mais les visuels semblent plus prenants et plus surprenants que dans le tome précédent. La vue du ciel d'une ville avec des dirigeables est magnifique. La double page montrant une vue du dessus d'une rue pavée fait s'arrêter le lecteur. L'accumulation de souvenirs sous forme de cases venant remplir la tête d'un personnage constitue une image saisissante. Le lecteur a mal pour Daniel quand il tombe de l'arbre où il était grimpé avec sa grande sœur Clara. Bien sûr, le lecteur retrouve également les caractéristiques graphiques habituelles d'Andrea Sorrentino : cases de la largeur de la page, bordures de case parfois rouges, un dessin artificiellement décomposé dans plusieurs cases d'une même bande (par exemple un dessin en pleine page d'une rue avec une cathédrale au fond découpé en 20 cases), onomatopées agrandies pour que ses lettres forment la bordure des cases, fond rouge uni lorsque la case décrit un acte de violence (le père Burke en train de se faire matraquer par deux policiers). Mais le ratio entre les surprises visuelles et les dispositifs narratifs habituels est en faveur des premières, et les seconds sont entièrement au service de la narration, sans jamais devenir des automatismes. Le lecteur voit bien aussi que le scénario contient des passages décalés comme une mégapole sous haute surveillance, un individu en train de se préparer qui remet son œil de verre dans son orbite, ou encore cet étrange appareillage dans un mystérieux village.


Effectivement, Jeff Lemire donne l'impression d'ouvrir l'horizon de son récit, plutôt que de continuer à développer uniquement les mêmes fils (la collection d'échardes de Norton Sinclair, les meurtres bizarres à Gideon Falls). La date de début (1886) montre que cette histoire de grange noire date de nombreuses décennies dans le passé. La poursuite à laquelle se livre le père Burke confirme qu'il existe plusieurs réalités et que Gideon Falls est un point nodal dans chacune d'elles. Enfin les 2 principaux personnages se retrouvent dans des endroits inattendus ce qui permet au lecteur d'en apprendre plus sur eux. En outre, la présence du père Burke permet de reconnecter une scène du premier tome avec le fil de l'intrigue principale. Ces éléments apportent plus de profondeur au mystère de la grange noire. Elle reste toujours un symbole basique et peu parlant, mais elle se retrouve rattachée à de nombreux autres éléments plus originaux, et d'autres plus classiques (une organisation secrète, un individu démoniaque avec un sourire horrible). Lemire & Sorrentino continuent de jouer avec des motifs récurrents comme les masques de protection respiratoire portés par différentes personnes, ce qui donne une idée sur leur impact psychologique. Même si les personnages disposent de moins de place pour exister, l'extension de l'intrigue dans d'autres directions ravive la curiosité du lecteur et son intérêt pour la série.


Malgré les qualités formelles indéniables de la série, le lecteur n'était pas forcément très convaincu de continuer à la suivre, faute à une intrigue difficile à cerner, mais pas à comprendre. Avec ces épisodes, les auteurs donnent l'impression d'avoir mieux su tirer parti de leurs idées, même s'il reste quelques clichés. L'intrigue présente plus de surprises à la fois en termes de rebondissements, à la fois sur le plan visuel, la qualité de la narration s'en trouve meilleure et le lecteur se dit qu'il aimerait bien passer plus de temps dans cette ambiance inquiétante.

Presence
7
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le 3 oct. 2020

Critique lue 230 fois

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