Akira Kurosawa. Kenji Misumi. Takashi Miike. Ces 3 monstres du cinéma japonais, voire du cinéma tout court pour certain, ont un point commun (en excluant les origines ou une couleur de cheveux identiques) : Satomu Shimizu. Romancier japonais de la première moitié du XXème siècle, il a écrit sous le nom de plume de Shūgorō Yamamoto (plus une dizaine d'autre pseudonymes) et est l'auteur de "Akahige shinryô tanqui" qui inspira un certain Barberousse d'Akira Kurosawa. Tout ça est bien mignon, mais pourquoi parler tout ces messieurs dans une critique de manga ? Eh bien ... Parce que Chiisakobé est l'adaptation d'un roman de Satomu Shimizu, à savoir, je te le donne en plein dans le mille, Chiisakobé. C'est Minetarô Mochizuki, mangaka assez confidentiel en France jusqu'à présent, qui a choisi d'en faire l'adaptation, transposant l'histoire initiale (période Edo, donc très très loin dans le temps) dans un espace temps bien plus contemporain.


La première chose qui frappe, ou du moins qui m'a frappé, c'est la couverture de ce manga. Ces couleurs, ces attitudes, ces styles vestimentaires ... Wes Anderson, Wes Anderson, Wes Anderson. Si le nom de l'auteur n'avait pas été écrit, j'aurais sans aucun doute misé (et perdu) ma main droite. C'est criant. Toujours est-il que j'ai été immédiatement attiré vers cette petite brique de papier. Je n'en avais pas entendu parler avant (ma passion pour le monde de la BD ne s'est réveillée que cette année) mais l'envie d'ajouter cet aguicheur objet à ma bibliothèque m'a enflammé. Je me sentais un peu comme Icare a dû se sentir en s'approchant doucement du soleil. Seulement voilà, j'ai encore dû attendre quelques mois avant de recevoir la sucrerie de papier de la part d'un ange (oui oui).


Sucrerie de papier oui, mais à l'extérieur. Car l'histoire n'a rien de sucré. En effet, Shigeji, un jeune maître charpentier de 26 ans, vient de perdre ses parents dans un incendie. Il va alors être confronté à la difficile tâche de reprendre l'entreprise familiale de charpenterie. Parallèlement, Ritsu, une amie d'enfance qu'il n'a plus revu depuis longtemps, va s'installer chez lui avec un groupe d'orphelins ayant échappé au même incendie. Présenté comme cela, on s'attend à vivre un récit larmoyant. C'est ce que je me suis dit en lisant le résumé, et je me suis bien planté.


Je vous parlais de Wes Anderson plus haut en décrivant la couverture du livre, mais l'auteur ne s'est pas arrêté là et nous gratifie de plusieurs clins d'oeil à son cinéma, en particulier La Famille Tenenbaum. Shigeji pourra ainsi être vu comme un ersatz de Richie Tenenbaum, ou encore cette orpheline bardée d'un survêtement Adidas n'est pas sans rappelé la Chas Tenenbaum et ses enfants. Autre chose que l'on pourrait voir comme une inspiration, c'est le soin tout particulier apporté à la tenue des personnages.


Car ici le style n'est pas que visuel, il permet d'ancrer davantage le récit dans la réalité, dans notre réalité. Pantalon retroussé au niveau des chevilles, marques de chaussures explicites (Alden, Converse, Nike), ... A ce titre, Shigeji apparaît comme un personnage totalement en phase avec son époque, incorporant tous les standards de la mode actuelle. Seulement, et c'est là le paradoxe du personnage, il reste très avare en mots, renfermé sur lui, contribuant à instaurer cette atmosphère à la fois pop et contemplative qui va caractériser le manga. Il ne s'agira pas de lire un dialogue, mais de lire un froncement de sourcils de Ritsu ou les poings serrés de Shigeji.


"L'important c'est la volonté et l'humanité". Se remémorant les paroles de son père au début à peine décédé, Shigeji offrira son regard à ce seul moment du récit pour le cacher ensuite derrière un voile capillaire lui servant de bouclier contre le monde. Ce regard offert traduit-il son deuil ? Toujours est-il qu'il se mettra ensuite en marche, à la reconquête du succès de Daitômé, l'entreprise familiale, appliquant sans sourciller sa volonté de réussir. Mais de réussir seul. Seulement, dirigé par les enseignements paternels, il ne pourra se résoudre à renvoyer les orphelins chez eux, les confiant aux bons soins de Ritzu et de Yûko, 2 filles que tout oppose, avec, une fois encore, un travail effectué sur leurs styles vestimentaires pour le souligner.


Chiisakobé est une merveilleuse surprise et, heureusement, il y a plusieurs tomes.

Tovaritch
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le 26 juin 2016

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