Dès sa parution dans le journal Tintin en avril 1973, j'ai eu le coup de foudre pour cette belle série, ça me changeait des autres westerns comme Blueberry ou Comanche qui figurent aussi parmi mes préférences, parce que l'époque est plutôt celle des trappeurs où le monde indien est très présent.
Pourtant, des BD avec des trappeurs, j'en avais lues beaucoup dans les petits formats qu'on achetait en kiosque, mais là, il y avait un traitement totalement différent et plein d'innovations. Il faut dire que dans les années 70, le journal Tintin, dans sa formule "Hebdoptimiste", entamait un nouveau visage avec des héros qui versaient plus dans la réflexion et la sensibilité, que dans le schématisme des personnages monolithiques que j'avais lu jusqu'ici dans l'ancienne formule du journal, comme Michel Vaillant ou Bruno Brazil. Attention, j'aimais aussi ces personnages, mais ce nouveau courant m'attirait avec des héros comme Buddy Longway, Jonathan, Lester Cockney ou Simon du Fleuve... et un peu plus tard, Arlequin et Thorgal. Ces héros n'étaient pas aussi clean parfois, ils avaient des vies compliquées, avaient subi des épreuves qui les avaient meurtri au contraire des héros classiques et sans reproches, ils n'étaient pas sans défauts et parfois commettaient des erreurs.
Derib offrait une sorte de liberté avec l'évolution de ses personnages qui allaient vieillir, aimer, souffrir, devenir plus forts. Débarrassé de Greg avec qui il venait à peine de terminer Go West, il imagine cette histoire de grands espaces sauvages où un trappeur sauve une squaw, Chinook, qu'il ramène dans sa tribu Sioux, il en tombe amoureux et l'épouse ; d'autres personnages attachants apparaissent comme Slim le Borgne, Daim Rapide... C'est si simple que ça en devient beau, ce premier album est déjà une réussite qui montre le grand talent graphique de Derib avec son dessin semi-réaliste très séduisant qui surfait encore sur celui de Go West, plus tard, il sera d'une maîtrise quasi réaliste.
En plus d'un changement de mentalité chez les héros, cette époque amène d'autres innovations qui percent ici : la mise en page s'aère et s'affranchit des pages à 4 bandeaux formatés, on y voit des cases plus grandes, de formats différents (panoramique, en hauteur, incrustées sur une pleine page), de nombreux gros plans, des inserts, et aussi quelques audaces (un franc baiser, et une fille nue qui se baigne, même si c'est de dos ; encore très osé en 1973 dans un journal pour jeunes).
Au final, cette aventure préfigure un bel avenir pour une série qui va devenir une véritable ode à la liberté, à la nature et au peuple indien, dans un environnement où l'homme blanc n'a pas encore totalement envahi l'espace, où les Indiens y vivent encore relativement en paix. Tout ceci constituera au fil du temps un lien affectif avec le lecteur que je suis, les personnages de Buddy et de Chinook sont attachants, j'aurai un rapport spécial avec cette BD qui me fera encore plus apprécier la culture indienne qui sera plus tard anéantie par l'homme blanc cupide qui n'a pas su comprendre ce peuple magnifique. Derib en profitera pour aborder des thématiques sensibles comme le racisme, le droit à la différence, le courage, un grand humanisme, l'honneur ou la ténacité. Un album fondateur essentiel pour lire la suite.

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le 1 oct. 2020

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Ugly

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