Il aura fallu 6 ans pour que Cobalt de Pablo de Santis et Juan Saenz Valiente quitte les terres argentines pour arriver chez nous, pays du festival d’Angoulême et où qu’on aime la bédé. Il est bien difficile de faire connaître la production internationale quand elle ne provient pas des grandes modes franco-belges, américaines ou japonaises.
Heureusement pour lui, cette bande-dessinée Cobalt possède un certain charme, une certaine originalité, qui la fait sortir des grandes tendances, la rendant d’autant plus difficile à convaincre lecteurs et critiques.
Le travail graphique fourni est d’ailleurs audacieux, le dessin de Juan Sáenz Valiente est composé de lignes graphiques charbonneuses, parfois absentes, remplacées par la couleur pour exprimer les formes. Au fil des quatre chapitres, il n’y a que quatre couleurs, les classiques blancs et noirs mais aussi deux teintes un peu pastels mais un peu passées, assez froides. Le choix des deux dernières au fil de ces chapitres n’est d’ailleurs pas anodin, soulignant l’évolution du récit.
Avec ses personnages bien typés, dont une copie en contre-emploi d’un certain acteur autrichien comme personnage principal, le dénommé Cobalt, aux expressions limitées, la galerie semblerait tirée d’un dessin animée et la quadrichomie de vieilles revues de bandes-dessinées. Le cadre du récit semble loin de plusieurs décennies, à en juger par le mobilier, les vêtements ou les voitures.
L’oeuvre propose ainsi une vision tournée vers le passé, et aussi de ce qu’on en fait, à l’image de son scénario. Le discret mais attentionné Cobalt est ainsi l’apothicaire du quartier, qui connaît tous les bobos de ses patients, mais dont la réserve cache une autre stature, celle d’un agent secret à qui on avait promis une retraite bien méritée.
Dans une ville morne, annoncée sans jeunesse et donc sans futur, Cobalt doit infiltrer différents quartiers pour assassiner de vieux notables devenus fous dans leur quête d’une vie éternelle, l’album se teintant alors d’une légère touche science-fictionnelle. La bande-dessinée s’inspire ainsi de certains codes de vieux films d’espionnage, à l’image de cet agent dormant, de ses interlocuteurs extraits de son passé ou de la science mal employée par des esprits étroits.
En moins de 60 pages, l’album est court, et le déroulé d’une concision limpide, sans s’appesantir ou se perdre dans des directions extérieurs. L’important n’est pas tant les quelques problèmes rencontrés par Cobalt, mais bien le ton un peu lugubre de cette œuvre, d’une ville et de ses habitants condamnés à dépérir dans un présent sans fin. Seul Cobalt, froid et méthodique, peut être l’antidote, sans savoir ce qu’il peut en ressortir. Il doit faire son travail, il est un professionnel, et l’enjeu reste moral.
Une œuvre donc surprenante, qui dans ses ancrages dans le passé pourrait sembler passéiste mais au contraire exprime une création originale, avec sa propre patte, d’une force froide mais puissante. L’éditeur Michel Lafon évoque sur la quatrième de couverture « un polar fantastique original, un univers graphique envoûtant ». Une alchimie étrange mais une proposition réussie.