Comme Par Hasard
6.3
Comme Par Hasard

BD franco-belge de Cyril Bonin (2021)

Dessinateur-scénariste de cette BD, Cyril Bonin situe son histoire à partir de 1909, ce qui lui permet de jouer avec l’actualité de l’époque. Effectivement, les ballets russes mis en scène par Serge Diaghilev et avec Nijinski en vedette, se produisent au Châtelet à partir de mai. Et puis, une importante crue de la Seine affecte Paris en fin d’année. Il n’y a donc pas de hasard…


Le personnage central, Victor Minas, est un obscur gratte-papier qui passe ses journées à aligner des chiffres, installé à un bureau installé en enfilade avec une multitude d’autres, pour le compte de la Société Académique de Comptabilité, située boulevard Haussmann. C’est par hasard ( ! ) qu’il tombe un soir sur un billet égaré dans la rue, pour une représentation des ballets russes. Au théâtre du Châtelet, il est fasciné par une des danseuses, une charmante blonde que le hasard ( ! ) lui permettra de croiser à nouveau à Baden-Baden où son médecin lui a recommandé de suivre une cure pour soigner ses bronches. La belle joue à la roulette (jeu de… hasard par excellence) avec une mine désespérée qui s’accorde avec le fait qu’elle perd régulièrement.


Victor Minas, un personnage intéressant


Régulièrement confronté à des choix, Victor réfléchit à ce qu’il fait tout en n’hésitant pas à provoquer le destin, même si celui-ci joue sans cesse avec lui. Le jeu est donc régulièrement au centre du scénario, ce qui colle parfaitement avec le propos. En effet, et c’est un léger point faible, l’album affiche des caractéristiques un peu trop théoriques pour rester naturelles. Ainsi, les personnages avancent à certains moments des arguments livresques. Des éléments théoriques de statistiques ont évidemment leur place dans une telle histoire, mais à petite dose. Ici, on sent chez l’auteur, la volonté d’illustrer des connaissances à tendance mathématique. Mais, si l’on passe outre ce petit inconvénient, à la lecture on passe un bon moment. Il faut dire aussi que le dessinateur introduit un élément fantastique sous la forme d’un chat qui se comporte comme un humain, ou plutôt comme une forme mi-humaine mi-animale du Diable, pour provoquer Victor dès que l’occasion se présente, surtout lorsque celui-ci doit faire un choix. Jouer à la roulette ou bien s’abstenir. Courir après telle femme ou non, etc. Ce personnage est présenté de façon assez subtile, car Victor le voit d’abord en rêve, ensuite dans sa perception de la réalité (que la BD nous présente) et donc à des moments stratégiques, d’une manière qui laisse deviner de nombreuses influences, allant de Tintin (la conscience du capitaine Haddock dans Tintin au Tibet) au film La beauté du diable (René Clair – 1950) avec Gérard Philippe et Michel Simon.


Jeu et hasard


Le scénario illustre intelligemment tout ce qui tourne autour du jeu, avec la façon dont la plupart y entrent par… hasard ou plutôt par le jeu ( ! ) des circonstances. Pour Victor, c’est en observant celle qui le fascine et aussi pour tenter de la conquérir au vu de sa situation particulière. Ce faisant, il profite de la chance du débutant, même si ce qu’il réussit est vraiment gros. Ceci dit, le hasard continue de le narguer, car sa chance ne lui apporte pas ce qu’il souhaitait ardemment. Elle lui permet néanmoins de changer de vie et de faire la connaissance d’une autre charmante jeune femme, avec qui il pourrait faire sa vie.


La question du choix


La BD donne matière à réflexion, à propos de nos existences. Comment faisons-nous nos choix ? Quelles influences subissons-nous ? Le hasard est-il un instrument du destin ? Ici, le dessinateur assume sa position de maître des destinées de ses personnages. Par conséquent, ne peut-on pas imaginer une puissance supérieure mener le jeu dans lequel nous nous trouvons ? En d’autres termes, le libre arbitre que nous considérons exercer tout au long de nos existences n’est-il pas une illusion que nous préférons oublier pour éviter de sombrer dans la folie ?


Cyril Bonin illustre son propos de façon agréable pour faire de son album un objet qu’on prend plaisir à parcourir, même si on sent assez rapidement qu’il joue avec son personnage principal. L’album s’avère séduisant car le dessinateur déploie une intelligence certaine, aussi bien dans les péripéties de son scénario que pour l’aspect esthétique de l’album. Malgré quelques moments relativement bavards, l’ensemble n’occupe pas trop longtemps, car Cyril Bonin sait mettre en place une ambiance originale sans dialogues envahissants et en variant judicieusement les tailles et formes de ses vignettes. Les couleurs sont plutôt agréables, avec une étonnante dominante du vert, la couleur de l’espoir. Le vrai reproche selon mon ressenti, va à un manque de profondeur. Ce point faible se remarque aussi bien sur le dessin (zones à peine hachurées sur des vêtements par exemple, décors quasiment inexistants à certains moments) que pour les personnages (Victor s’avère finalement assez caricatural, sans aucune relation apparente, ni famille ni amis) ce qui est dommage pour un album d’une centaine de pages.


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Electron
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