Danger Street
6.9
Danger Street

Comics de Tom King et Jorge Fornés (2022)

L’enfer est pavé de bonnes cases

Quelle importance, pourquoi on fait les choses ? Il y a la cause et il y a les conséquences. Ce qui relie les deux n'est qu'une fiction.

Avec Danger Street, Tom King poursuit son exploration / pèlerinage du médium du comics avec ce qui ressemble autant à un hommage audacieux qu’à un exercice de style. Le postulat de départ a tout pour séduire le lecteur : redonner vie à des personnages oubliés issus d’un magazine DC des années 70, chacun pensé à l’origine pour ne vivre qu’une seule aventure à l’intérieur d’un unique numéro. Le défi est clair, donc : fondre cette galerie hétéroclite dans une intrigue commune, un même moule. Et pendant un temps, la sauce prend et on s'en délecte.


Les sept premiers chapitres tambours battant bluffent par leur ton, leur densité et leur construction rigoureuse comme King a su nous y habituer au fil des ans. Mais passé ce palier, le récit s’essouffle. Le neuvième numéro, qui voit l’affrontement de deux garde du corps est plombé par une narration alambiquée et un style ampoulé : cas d’école de l’auteur se caricaturant lui-même. De même que la conclusion un brun déceptif qui laisse un arrière-gout d’amertume dans son bâclage. Le style finit par l’emporter sur les émotions. Et pourtant, l’ensemble reste séduisant. La mise en page, sobre et élégante, est portée par des dessins somptueux. Une chose est sûre, King sait s’entourer des meilleurs pour mettre en image ses mots.


Mais alors que nous raconte Danger Street, au final ? Officiellement : une guerre entre le bien et le mal, l'éternelle justice face à l’injustice ; tout cela enveloppé d’un casque magique (celui du Docteur Fate), des figures mythologiques de Kirby (Darkseid, Manhunter, Creeper), des dieux de l’Ordre et du Chaos tirant les ficelles en coulisse de nos pauvres personnages. En réalité : un récit ancré dans ce que King sait faire de mieux : l’humain (avec une pincée de rédemption) ; centré sur un crime accidentel (la mort d’un ado, victime collatérale d’un rituel raté) et les répercussions morale de cet acte.


On suit une « fliquette » - maillon central de cette joyeuse folie aux proportions cosmique – tenter de mettre de l’ordre dans cette affaire et démêler le fin mot de l’histoire. Dans tout ça, des figures de l’ombre émergent : gardes du corps, adolescents milliardaires, chevalier errant, ogre – et c’est là que King touche juste : dans sa manière de raconter les marges, ceux qui n’ont habituellement droit qu’à quelques cases des grands récits super-héroïques.


Hélas, l’ambition déborde. Le casting pléthorique dessert l’émotion, certaines pistes narratives manquent de développement tandis que d’autres s’avèrent caricaturales (notamment la représentation très scolaire de l’adolescence). Le récit, pourtant porté par une idée forte - un narrateur omniscient (le casque que tout le monde se chamaille) dans le style des contes - finit par crouler sous une surécriture parfois un tantinet ampoulée.


En somme, Danger Street fascine autant qu’il frustre. On y sent la maitrise, l’intelligence de son auteur, l’audace (toujours)… mais aussi une certaine complaisance (ou plutôt quelqu’un qui se repose un peu trop sur ses lauriers). Le récit à l’allure d’un patchwork brillant dont la cohérence s’effiloche au fil des pages. Une œuvre imparfaite mais passionnante, qui laisse le cœur à distance.

Là où il y a des dieux, il y a des princesses, et là où il y a des princesses, il y a des histoires, et là où il y a des histoires, il y a des gens nobles qui, parfois, ont droit à une fin heureuse.
OuaZz
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le 26 juil. 2025

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