Le hasard veut que je lise Daytripper en même temps que le "Tristes tropiques" de Lévi-Strauss, qui me décrit justement Sao Paulo et l'histoire de cette ville, de sa structure, de la nature qui l'environne. Et voilà que Daytripper me plonge aussi dans ce Brésil chaud et humide, aux plages magnifiques, aux fêtes païennes, aux averses torrentielles, aux coupures de courant fréquentes. Mais là où Lévi-Strauss me parle de la longue, très longue histoire, Daytripper vous conte une vie, une seule. Et s'interroge non sur le sens de l'Histoire mais sur le sens de cette vie banale, fragile et si riche...


Bras est fils d'écrivain. Il rêve aussi d'écrire. Quand nous démarrons, il n'est que pigiste dans un journal de Sao Paulo, chargé des nécrologies. Gagner sa vie en résumant celle des autres, voilà bien déjà un job d'écrivain.L'ironie est aussi que Fabio Moon et Gabriel Ba nous proposent un jeu sur la vie et la mort, chaque chapitre de leur livre se terminant sur le décés du héros, à divers ages. de sa vie. Il meurt notre pauvre Bras, à 8 ans, à 28 ans, à 47 ans , à 76 ans etc... Et pourtant chaque chapitre le retrouve continuant son chemin, s'interrogeant sur son passé et son avenir. Chaque chapitre explore plus loin le mystère de la vie de Bras, dans ses amours, ses amitiés, son rapport avec sa famille, son père célèbre, son écriture...


Car le livre de Moon et Ba n'est pas tant une réflexion sur la mort (omniprésente, brisant le destin de notre héros, ainsi que celui de tous les gens de ses nécros), qu'une réflexion sur ce moment présent, si fuyant, si volatile, qui peut être à chaque instant à la fois une renaissance (tomber amoureux, sauver une amitié, voir mourir son père, voir naître son premier gosse...) et une fin (ces accidents, stupides, inévitables, dramatiques). Je vous rassure tout de suite, le livre n'est pas une énième et sinistre illustration existentielle sur le thème "la mort donne sa valeur à la vie, bla bla". Il est plutôt un coup de coude sympathique et touchant sur le mode "il est temps de se réveiller" (le chapitre de fin illustre cet aspect). C'est cet appel à la conscience de soi qui sauve ce livre d'un pathos trop pénible sur le néant. Si la mort ne nous touche pas, chaque moment peut- être un nouveau départ, il ne tient qu'à nous d'être sur les starting-blocks. La vie se goûte comme un bon café.


J'ai beaucoup aimé cette construction labyrinthique (un poil intello certes), ce va et vient dans la chronologie, ce jeu avec la mort, ces mises en abîme rusées et ses textes à double sens. Il y a du Borgès là-dessous, plus que du Beckett. Le dessin m'a beaucoup plus, expressif et mélancolique, avec un très bel encrage. Il y a aussi une douceur dans ce texte qui porte à une légère mélancolie, mais rien d'attristant.
Beau livre donc, dont la structure peut-être trop pensée n'endommage pas le côté émouvant, et qui vous encourage à regarder votre quotidien d'un oeil plus éveillé .Recommandé!

nostromo
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le 16 sept. 2015

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nostromo

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