Dengeki Daisy
7.1
Dengeki Daisy

Manga de Kyōsuke Motomi (2007)

Ni le plus drôle, ni le plus tragique mais surement un des shojos les plus complets !

Il y a plusieurs choses intéressantes à analyser à propos de Dengeki Daisy notamment son intrigue divisée en deux parties. A la base et de l'aveu de l'auteur cette histoire ne devait comporter que 3 chapitres, c'est ainsi qu'on a un synopsys qui semble a priori cousu de fil blanc et cliché. Au fil des différents chapitres vous trouverez de multiples commentaires de l'auteur qui expliquent à quel point elle est stressée de ne pas voir la suite de son histoire publiée par le magazine, situation bien classique pour les auteurs de mangas au Japon. Ceci permet d'expliquer l'étonnante densité qui émane de l'oeuvre dès le premier tome. Dans un shojo je crois n'avoir jamais vu un tome aussi chargé et aussi rythmé pour commencer un récit. Tout ce qui prendrait des dizaines de tomes dans des shojos random est ici traité en quelques chapitres. C'est donc en général avec un très bon a priori quant à l'efficacité de l'auteur par rapport à son histoire que nous entamons cette oeuvre.

Très vite nous allons nous rendre compte que si Dengeki Daisy ne prétend pas révolutionner les codes du shojo manga, elle compte en revanche les exploiter le plus efficacement possible pour créer des personnages, certes très classiques, mais oh combien intéressants et attachants. D'abord il y le garçon, officiellement voyou de 24 ans, fumeur invétéré et officieusement Daisy, l'homme qui consacre sa vie à rendre une fille sans famille heureuse. Physiquement on a affaire au beau gosse de shojo dans toute sa splendeur. Vous avez aimé Kaichou wa mad sama et son héros ? Vous adorerez Daisy. Une différence est cependant fondamentale, Daisy n'est pas ce héros idéal ou tout du moins idéalisé par l'héroïne qui garde son lot de mystères à travers toute l'oeuvre et représente un prince charmant parfois ténébreux parfois lumineux. Oh certes il y a de ça, mais il y a plus que ça. Très tôt dans l'histoire l'auteur se mettra à la place de son héros et s'attellera à décrire une psychologie développée et crédible. Daisy est clairement un personnage torturé, torturé par sa conscience suite aux crimes qu'il a commis si bien que sur le lit de mort de son mentor (Soichiro, le frère de l'héroïne) il lui promet de veiller sur sa petite soeur pour se racheter.

Cette entrée en matière permet d'aborder des thèmes traditionnels comme ce qu'est le réel amour entre deux personnes, comment il se construit et comment il se vit concrètement. Mais plus que ça on a également un traitement intéressant de la culpabilité et des moyens parfois néfastes qu'ont les être humains pour soulager leur conscience à tout prix. Au travers des déboires et des erreurs du héros, c'est une véritable quête de l'intégrité, une quête pour réussir à se comporter "de la manière juste" qui se vit pour lui au quotidien ; pour être digne de l'être aimé mais aussi digne de soi-même. Et si le héros reste Kurosaki, nous verrons à quel point le mentor décédé, Soichiro, est au centre de cette problématique de "justice". Il est aussi clair que cette quête de rédemption du héros via son implication dans la vie de la jeune fille n'atteindra pas son climax sans avoir un personnage féminin digne de ce nom pour contrebalancer le très charismatique Kurosaki. Ainsi Teru, l'héroïne, est elle aussi un faux cliché. L'héroïne qui se fait a priori victimiser par le conseil des étudiants dans le tome 1 s'avère être au final une fille intelligente, forte de caractère, incroyablement drôle et décomplexée. Elle a aussi ses états d'âme et ses problèmes personnels, mais son intelligence lui permet toujours d'éviter l'hystérie et donc d'exaspérer le lecteur. L'influence qu'a eue son frère Soichiro sur elle n'est pas en reste concernant sa très grande force de caractère.

Et c'est ainsi que l'auteur laisse parler son talent dans les 8 premiers tomes de l'oeuvre en créant un couple extrêmement attachant, qualité première selon moi dans une romance. Les taquineries, l'humour entre les deux protagonistes servent à créer une réelle complicité et un amour naissant crédible entre eux. Niveau dessin on alterne des "miniatures" avec des expressions déformées et hilarantes sur le visage des persos (avec tout de même une tendance au « running gag ») et à côté des dessins qui prennent des pages entières et servent à exhiber tout le charisme du héros, notamment lorsqu'il vole au secours de sa princesse. (Alors oui ça par contre, le coup du héros qui sauve l'héroïne c'est un cliché absolu et ça revient fréquemment dans l'oeuvre mais je vous jure que vous serez totalement pris au jeu grâce à la cool attitude de Kurosaki !) Mais cette relation n'est pas fondée que sur l'humour et la complicité, mais aussi sur un mensonge, un problème à résoudre quant au passé de Daisy. On quitte alors ponctuellement la légèreté de la comédie romantique pour se rappeler qu'il y a un très haut mur qui se dresse au milieu de ces héros et qui les empêcherait de vivre leur amour facilement. (L'autre « léger » problème étant que le garçon a 24 ans et la fille 16, ce qui sera souvent prétexte à retarder les contacts physique, si vous voyez ce que je veux dire !) Voilà l'enjeu de cette première partie de l'oeuvre et clairement l'intensité est au rendez-vous, grâce au dessin, à la qualité de la mise en scène constante et à l'empathie qu'on éprouve à la fois pour le garçon et pour la fille. Egalement grâce à tous ces petits gestes et ces petites attitudes entre eux qui n'ont l'air de rien mais donnent à leur relation un côté réellement crédible. La confiance qu'ils se portent, leur envie de se donner totalement à l'autre pour le rendre plus fort montre une vision de l'amour vraiment touchante, bien écrite et pertinente.

Et c'est une qualité fondamentale de l'oeuvre, si ses thèmes sont très classiques, le traitement qu'en fait l'auteur est toujours riche et pertinent. Oh pas forcément subtil, clairement tout est très explicite, très premier degré et ce n'est pas ici que les amateurs des "seconds, voire troisièmes niveaux de lecture" seront satisfaits. Néanmoins il n'est pas toujours nécessaire d'aller dans la complexité pour être profond et intéressant, Dengeki Daisy en est un bel exemple. Par contre ne nous mentons pas non plus, l'oeuvre a des défauts, défauts qui sont à mes yeux plus prégnants dans la seconde partie du manga.

C'est que l'auteur a l'ambition de créé quelque chose qui va au delà de la simple comédie romantique et de donner un caractère vraiment plus développé aux anciens traumatismes de Kurosaki, le confronter à de nouveaux problèmes qui marqueront le parachèvement de son évolution. C'est ainsi que vous serez plongé dans une histoire de complot à grandes échelles, avec des meurtres et de lourdes conséquences, je n'en dirai pas davantage. Ce que je peux en revanche dire c'est que l'auteur est moins douée pour faire du thriller action que de la comédie romantique. Beaucoup se sont plaints des derniers tomes de Dengeki Daisy, trouvant qu'on perdait l'ambiance humoristique et complice du début et que tout avait tendance à être tiré artificiellement en longueur. Sans aller aussi loin, il est vrai qu'on pourrait probablement condenser les 16 tomes en 13 ou 14 volumes et que l'incroyable densité des premiers tomes s'est perdue au fil du temps. Néanmoins on évite l'écueil de faire des chapitres remplissages, on garde au moins un objectif et une problématique bien précise à développer dans chacun d'entre eux. Seul le côté redondant de certaines situations pourra alors être dérangeant.

Par contre ce qui est tout à fait vrai c'est qu'on ne ressent presqu'aucune peur ou tension pour les personnages. On sait pertinemment qu'il ne leur arrivera rien. Naturellement déjà parce que l'auteur n'excelle pas dans la mise en tension et le suspens. Mais surtout parce qu'en plus elle se permet de mettre de petites remarques humoristiques un peu partout, et même au beau milieu de scènes parfois très importantes pour la tension dramatique. Bref on a une rupture qui empêche de véritablement croire à tous les enjeux mondiaux, aux meurtres, au danger omniprésent, etc... Ceci aurait donc pu a priori me faire considérer la seconde partie du manga comme un échec, mais une réflexion un peu plus poussée sur le véritable but de cette partie fait rapidement changer d'avis. Parce que ces derniers tomes, s'ils se concentrent moins sur la relation amoureuse déjà bien développée, permettent en fait de donner tout son sens au comportement des personnages via une cause au centre de tout : Soichiro le défunt frère de l'héroïne ! Probablement que comme moi, vous aurez tendance à considérer ce personnage comme étant un clown au début mais que vous percevrez sa formidable aura, le très grand rôle qu'il a à jouer dans cette oeuvre. C'est un personnage qui m'aura peut-être au final encore plus touché que le couple principal, tellement il est admirable et inspirant. Inspirant pour le lecteur mais aussi pour tous les personnages du manga, qu'ils soient principaux et secondaires. Soichiro étant l'archétype de l'être humain intègre, celui qui par sa seule présence arrive à profondément influencer son entourage, à rendre les gens meilleurs, surtout à leur donner envie d'être meilleur. Quand on analyse la seconde partie de Dengeki Daisy sous ce point de vue, on aperçoit la maîtrise et les enjeux très clairs de l'auteur.

C'est amusant d'ailleurs mais tous les personnages récurrents sont au final des adultes, on a vraiment affaire à une adolescente (l'héroïne) plongée dans un monde gens qui ont déjà de l'expérience, qui ont déjà fauté et subi l'influence de Soichiro. Très peu de scènes classiques de lycée donc, pas de voyage scolaire, de fête de fin d’année, de plage, de concours de sport. On a une vraie ambiance de "team", assez miraculeuse car le noyau dur de cette team est au final décédé, preuve incontestable de sa présence incroyable. Vous aurez de tout, la femme pulpeuse, le mec bizarroïde, le grand frère protecteur. Ils sont tous très sympathiques et la petite bande ainsi formée autour du héros ne vous ennuiera pas une seule seconde. Les méchants beaucoup plus mystérieux auront, comme vous le constaterez, le rôle adéquat pour totalement servir ce développement posthume du personnage de Soichiro. Enfin pour terminer et il faut vraiment le préciser on a vraiment une qualité du dessin qui explose lors des derniers tomes, les contrastes détonnent et jamais les personnages n'ont été aussi charismatiques, même l'héroïne !

Voici la version longue des thèmes abordés par Dengeki Daisy, les qualités et les défauts de l'oeuvre, je vais maintenant synthétiser pour ceux qui aiment les versions courtes. Dengeki daisy n'est ni le shojo le plus drôle (je lui préfère lovely complex pour l'humour pur et dur) ni le plus intense dramatiquement parlant (je conseille Kare Kano pour ça) mais c'est surtout une oeuvre qui a su être complète et pertinente en tout instant. Ses thèmes classiques sont traités et renforcés par la présence de personnages hauts en couleur : Kurosaki et Teru, le couple complice et attachant ainsi que Soichiro celui sans qui rien ne serait arrivé, celui qui a donné du sens au final à la vie des personnages et à tous les rebondissements de l'intrigue. Le dessin et la mise en scène de qualité constante ont beau être répétitifs par moment, les climax sont nombreux et vous ne cesserez jamais avant la fin de vous extasiez devant la badasserie des personnages. La dimension thriller/action manque d'intensité et d'enjeu, atténue peut-être l'ambiance si drôle et particulièrement attachante du début mais ne manquera au final pas d'intérêt non plus et prendra tout son sens notamment grâce aux derniers chapitres. Il est clair que ces 16 tomes en compagnie de tous ces personnages ne sera pas quelque chose que vous oublierez si tôt la lecture achevée, le côté profondément inspirant de l'oeuvre est un gage de relecture et de plaisir permanent.
Christophe_Dubu
8
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2014

Critique lue 1.2K fois

3 j'aime

Titi mathy

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

3

D'autres avis sur Dengeki Daisy

Dengeki Daisy
LaChronique
7

Critique de Dengeki Daisy par LaChronique

Une série en 16 tomes (la série est finie) qui a clairement un bon rythme de croisière. La vérité se dévoile petit à petit. Il n'y a pas de stagnation énervante ni d'envolés dans l'intrigue. Un bon...

le 24 juin 2020

1 j'aime

Dengeki Daisy
Fanny_la_fraise
9

Coup de coeur

Humour, amour et informatique... Un très gros coup de coeur pour ce shôjo, très beau au niveau des dessins, une très belle intrigue et des personnages vraiment très attachants. Cela change des...

le 5 juin 2014

1 j'aime

2

Dengeki Daisy
Chrichri-Stone
8

Critique de Dengeki Daisy par Chrichri Stone

Très bon manga shojo sur fond de thriller informatique. Les personnages sont attachants, le dessin est fluide... A lire absolument!!

le 7 avr. 2013

1 j'aime

Du même critique

Air
Christophe_Dubu
8

La perle du studio Key !

Ah les oeuvres de Key ! On commence à bien les connaitre en japanimation. Air Tv, Kanon 2006, Clannad et sa suite after story (surement le plus connu et le plus apprécié) ainsi que plus récemment...

le 9 août 2015

10 j'aime

3

There Will Be Blood
Christophe_Dubu
8

Un acteur tout simplement monstrueux !

Je ne pensais pas a priori écrire de critique sur ce film. Force est de constater que depuis que je l'ai vu, je n'arrête pas de ressasser toutes les scènes cultes du film ! Ce que je trouvais au...

le 13 mars 2014

8 j'aime

Terra e...
Christophe_Dubu
9

Le space opéra émotionnel !

Adapté d’un vieux Shojo des années 70, Terra E est un anime qui est globalement passé inaperçu lors de sa sortie, bien qu’il fut très bien reçu par ceux lui ayant laissé une chance. Cette faible...

le 31 oct. 2013

8 j'aime