Il était une fois, dans un petit village oublié de tous, une jeune domestique du nom de Morue qui souffrait de sa condition physique particulièrement défavorable et de son statut social qui la condamnait à écailler des poissons en compagnie de sa marraine.
Endurant nuits et jours les railleries et les moqueries les plus infamantes à propos de son physique ingrat, la jeune Morue, plongée au bord de la dépression, n'aspirait qu'à un peu de bonheur dans ce monde si cruel.
C'est en allant chercher du bois dans la foret avoisinante que par un heureux hasard, Morue délivra la fée Mab d'un étrange maléfice.
Cette dernière, pour la remercier de l'avoir libéré de sa captivité, octroya à la jeune souillon une beauté prodigieuse capable d’envoûter n'importe quel homme et de rendre jalouse n'importe quelle femme.
Elle deviendra l'objet de convoitise de tout un village, puis de toute une nation et enfin de toute une race. Un créature belle à en devenir fou qui précipitera la chute des royaumes et apportera chaos et désolation à un monde jadis en harmonie.
L'auteur de Miss pas touche nous offre ici un bd à l'atmosphère particulière qui s'inspire grandement des codes narratifs présents dans le conte merveilleux.
Sans être un pastiche ou une parodie, Beauté est un véritable conte qui respecte scrupuleusement les codes du genre pour offrir au lecteur une histoire dépaysante aux personnages ambivalents et à la morale pertinente et très contemporaine.
Sous ses aires de conte poétique et de dessins enfantins, Beauté est en réalité un bd au propos résolument adulte, au ton sombre et à l'humour noir jouissif.
Car le "pouvoir" de Morue s'avère rapidement plus relever de la malédiction que de la bénédiction.
De par sa seule présence, Morue entraine une succession d’événements capables de faire sombrer le monde dans la folie : Des royaumes s'entre-déchirent, des rois nobles et courageux deviennent des bêtes paranoïaques et agressives et des sociétés autrefois fières et riches se transforment en immonde cloaque pour satisfaire le moindre des ses caprices.
En réalité, Beauté narre une véritable chute aux enfers effroyablement ironique.
Plus Morue devient célèbre, plus le monde se fracture et augmente ses chances de plonger dans l’anarchie la plus meurtrière qui soi.
De plus, l'évolution morale du personnage principal va rapidement l'éloigner des voies de la sagesse et de la vertu pour se concentrer sur la frivolité et la stupidité.
Ainsi, l'évolution de l'intrigue ne manque pas de rebondissements et le développement des personnages, de piquant.
Le ton se révèle donc extrêmement pessimiste ainsi que mature et il n'est pas rare de voir la mort, la dépravation et les instincts animaux de l'homme refaire surface.
Avec énormément de références sur les abus de pouvoir, la condition féminine, le viol et la sexualité, Beauté est un livre particulièrement violent dans son propos mais qui ne sombre jamais dans le trash ou le malsain.
Minimaliste, la patte graphique particulière de Kerascoët fait des merveille et accentue l'aspect « conte » de l’œuvre.
Il y a également un excellent travail de la part du dessinateur sur la couleur qui offre à l’œuvre, des planches à l'atmosphère unique, tantôt chatoyantes et lumineuses, tantôt sombres et désespérées.
Originale, bien écrite, bien dessinée et franchement intelligente dans ses dialogues, Beauté apparaît comme une excellente bd doublée d'un joli conte de fée à l'humour noir brillant et aux thématiques pertinentes ! Un bien bel hommage à l'univers des frères Grimm et de Charles Perrault.