Ce tome fait suite à Piègés ! (épisodes 79 à 84) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire suivant les personnages sur le long terme, il vaut mieux avoir commencé par le premier tome. Celui-ci comprend les épisodes 85 à 90, initialement parus en 2011, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, les nuances de gris ayant été apposées par Cliff Rathburn.


Il est temps pour les survivants de se livrer à la déplaisante tâche de nettoyage : brûler les cadavres des zombies encombrants les rues de la zone pavillonnaire d'Alexandria. Pendant ce temps-là, Rick est au chevet de son fils qui est dans le coma. Puis le temps est venu pour plusieurs personnages de mettre les choses au point. Spencer essaye de renouer le contact avec Andrea. Maggie Greene explique ce qu'elle ressent à Glenn. Rosita Espinosa explique à Abraham Ford qu'elle a bien compris ce qui se passe avec Holly. Rick Grimes avoue à la docteure Denise Cloyd ce qu'il a fait subir à Jessie à cause de Ron. Le temps est venu d'enterrer les morts.


À la suite de la cérémonie funèbre, Rick Grimes s'adresse à une partie de la communauté et explique comment il envisage la suite. Il ne fait plus aucun doute qu'il est devenu le chef de cette communauté. Il leur propose de voir les choses à plus long terme. Cela passe par renforcer la clôture, s'entraîner au tir, recommencer à fouiller les alentours pour voir s'il reste des choses récupérables, et envisager des fortifications. Rosita Espinosa finit par emménager avec quelqu'un d'autre assez inattendu. La docteure s'avère incapable de se prononcer quant au pronostic de Carl. Nicholas supporte de plus ne plus mal sa position subalterne de manœuvre. Spencer effectue une deuxième tentative de rabibochage avec Andrea.


Décidément, Robert Kirkman continue de bien faire son travail en maintenant le lecteur dans l'expectative. En effet ce dernier n'avait aucune idée de la tournure que prendrait les événements après la survenance d'une vague de zombies dans le tome précédent. Le scénariste a une fois de plus accablé son personnage principal, en s'attaquant à son fils de manière ignoble, dans le tome précédent. Mais il en rajoute encore une couche du fait que Rick a dû trancher la main d'un autre personnage également dans le tome précédent, ce qui fait l'objet d'un développement sous forme de confession dans ce tome. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut réagir de 2 manières. Il peut éprouver une forte empathie pour cet individu à nouveau accablé par un traumatisme conçu sur mesure pour l'éprouver au plus profond de son âme, et s'inquiéter des conséquences des mécanismes psychologiques de défense qu'il est obligé de mettre en place. Charlie Adlard représente Rick avec un visage impassible comme s'il était au-delà de ressentir une émotion, au-delà de sa capacité d'accablement.


D'un autre côté, le dessinateur continue d'exagérer les représentations des émotions, et Denise Cloyd se retrouve à verser une rivière de larmes en continu, avec chacun de ses yeux, la bouche grande ouverte comme si elle n'avait jamais rien vécu de pire. Une tel jeu d'acteur attire également l'attention du lecteur sur le tourment trop taillé sur mesure pour Rick, sur l'intention de l'auteur de le faire souffrir de la pire manière possible, en l'atteignant par son fils et son infirmité. À côté de ça, les auteurs savent aussi mettre en scène des moments personnels plus fins et plus crédibles qui viennent enrichir les personnages. Le face-à-face initial entre Abraham Ford et Rosita Espinosa ressemble fort à une dispute matrimoniale basique avec la jeune femme blessée dans son amour propre, Adlard n'oubliant pas de lui donner un regard embué. Abraham Ford se tient devant elle comme un idiot ne sachant pas quelle attitude adopter, dépourvu de tout sentiment culpabilité, les bras ballants, mais quand même désolé d'avoir froissé ses sentiments. Fort heureusement, la suite s'avère moins cliché. Rosita n'hésite pas longtemps pour choisir le compagnon suivant, et Adlard lui fait lever les yeux au ciel quand l'heureux élu ne comprend pas ce qu'elle sous-entend, pour un regard aussi éloquent que rigolo. De son côté, Abraham Ford va trouver son amante, et lui explique ce qui l'a attiré en elle, là encore le langage corporel montrant que l'homme se conduit comme un nigaud, et que la femme est beaucoup plus mature et pragmatique dans sa réaction. Adlard et Kirkman inversent le schéma de la femme trompée et de l'homme coureur de jupons, en tournant en ridicule les 2 personnages masculins avec beaucoup de conviction.


L'un des autres points d'ancrage émotionnel réside dans la relation entre Rick Grimes et son fils Carl. Le lecteur a bien compris que Kirkman a choisi d'atteindre son protagoniste principal par ce qu'il lui reste de plus cher. Il n'est pas forcément convaincu par le naturel d'une démarche si calculée. Il n'est pas forcément d'accord pour se laisser embarquer dans ce rebondissement. Il a bien vu la blessure atroce infligée à Carl, encore plus angoissante du fait du dessin manquant de détails d'Adlard, constant dans sa manière de représenter les choses. Du coup, le lecteur prend du recul quant à l'évolution que Kirkman va donner à cette situation. Ce dernier se révèle plus fin que prévu, en prolongeant le suspense par une prise de conscience progressive, et par une impossibilité d'établir un diagnostic pérenne. Rick Grimes n'en souffre que plus, en particulier en se tourmentant sur l'étendue des séquelles. Contre toute attente, cette évolution naturaliste redonne de la crédibilité à ce rebondissement, en ramenant les conséquences de cette blessure dans un déroulement ordinaire, les proches se morfondant en ne sachant pas comment va évoluer la situation. Kirkman tourmente encore un peu Rick, et Adlard joue avec les attentes du lecteur avec un langage corporel ambigu.


Même s'il ne souhaite pas forcément s'impliquer émotionnellement dans ces souffrances, le lecteur se retrouve quand même happé par la question de l'avenir. A priori, il ne sait pas si le passage des zombies dans le tome précédent a mis fin à tout espoir de s'installer durablement dans cette zone pavillonnaire, ou s'il existe une autre possibilité. Il constate que Rick Grimes a repris la responsabilité de penser à la suite pour le bien commun. Le tome précédent l'avait réinstauré comme chef de la communauté, et avait légitimé les rescapés du site de la prison du fait de leur expérience en survie à l'extérieur. Néanmoins, le lecteur peut constater que le scénariste continue à avancer plutôt que de donner l'impression de recommencer, et de tourner en rond. Cette fois-ci, Rick Grimes organise de lui-même une réunion d'information à destination d'autres membres de la communauté, quant à ses intentions. Charlie Adlard se retrouve un peu coincé du point de visuel. Il montre Rick s'adressant à 7 personnes dans le salon d'un pavillon, et puis le lecteur voit que tous les membres de la communauté accomplissent les tâches décidées par Rick. Un peu après, un individu indique qu'il a encore du mal à reconnaître tous les habitants d'Alexandria, ce qui fait tiquer le lecteur. Ce que montrent les dessins de Charlie Adlard, c'est une zone pavillonnaire de faible envergure qui ne semble pas contenir des dizaines d'habitants. En outre, une partie significative d'entre eux a péri dans l'attaque du tome précédent. Tout cela conduit le lecteur à s'interroger sur le nombre total de la population d'Alexandria, sans pouvoir répondre de manière satisfaisante à cette question.


Au-delà de ce détail, Robert Kirkman recommence à aborder de front la question de l'avenir. Il fait s'exprimer de façon claire Rick Grimes à ce sujet. De manière un peu schizophrénique, ce dernier angoisse à l'idée de l'évolution de l'état de santé de son fils dans le coma, et en même temps envisage d'une autre manière sa responsabilité vis-à-vis de la communauté. Pendant tout le tome, il n'arrive pas bien à déterminer le comportement qu'il souhaite adopter vis-à-vis de son fils. Depuis le début, le scénariste a montré que Rick est autant motivé par le salut de sa famille, que par son sens de la responsabilité pour les autres. Cela induit qu'il agit pour protéger les siens, mais qu'il passe beaucoup de temps à réaliser des tâches pour le bien commun, consacrant finalement plus de temps pour accomplir ses missions de chef, que pour s'occuper par exemple de Carl. Au-delà de ce comportement quelque peu schizophrénique, Rick explique à Andrea, au cours d'une discussion dont Robert Kirkman a le secret (c’est-à-dire une sorte d'exposé bien construit) qu'il a compris que la meilleure façon d'assurer le bonheur de son fils Carl est d'œuvrer pour le bien de la communauté. Déjà dans le tome précédent, le lecteur sentait que plusieurs personnages étaient en mesure de penser leur vie à un terme plus long que simplement celui du lendemain. La preuve manifeste de ce changement de rapport au temps se trouve dans une remarque anodine, quand Rick Grimes indique à son interlocutrice qu'il lui arrive de penser à Shane et de regretter son absence. Cette remarque montre qu'il a également le temps de repenser au passé.


Le changement de Rick Grimes ne s'arrête pas à s'autoriser à faire des projets à moyen terme. Il envisage également différemment la façon de s'organiser. Précédemment, lorsque son groupe était arrivé dans la prison, ils l'avaient prise comme un refuge, un endroit fortifié qu'il convenait de nettoyer. La zone résidentielle d'Alexandria se conçoit un peu différemment. Il s'agit d'abord d'un lieu où il fait bon vivre, et ensuite d'un lieu qu'il convient de protéger, de fortifier. Cette fois-ci, Rick Grimes envisage le lieu où il se trouve comme le centre à partir duquel il convient de s'établir. Ce point de vue, combiné à la possibilité de penser les projets à plusieurs jours, plus semaines dans le temps, l'incite également à repenser sa façon de se conduire, sa façon de se comporter en chef. Le changement est stupéfiant : Rick Grimes demande l'avis de différentes personnes, et leur fait confiance dans leur spécialité. Par exemple il laisse Andrea s'occuper de la formation d'autres membres de la communauté, à la manipulation des armes à feu, ou encore il laisse Abraham Ford se charger de nettoyer le périmètre autour de la zone clôturée. Même en prenant en compte son inquiétude vis-à-vis de son fils, les dessins montrent que son langage corporel est plus détendu.


Fidèle à son thème principal, Robert Kirkman continue de sonder les mécanismes de la société. Comme ce fut déjà le cas lors du séjour dans la prison, d'autres voix que celles de Rick Grimes se font entendre, d'autres individus ont d'autres idées. Cette fois-ci, il s'agit d'un dénommé Nicholas, membre de la communauté d'Alexandria avant que Rick Grimes et les autres n'y soient accueillis. Au début, le lecteur le prend comme râleur pour le principe, un jaloux estimant avoir été évincé par la prise de pouvoir de Rick Grimes, individu arrivé sur le tard et placé par les circonstances, sans réelle légitimité. Il avait d'ailleurs déjà râlé et tenté de rameuter du monde autour de lui dans un tome précédent. En quelques gros plans bien croqués, Charlie Adlard montre un individu aigri, soupçonneux, masquant une partie de sa tête sous sa capuche. Le scénariste prend le lecteur au dépourvu, d'abord avec une séquence dont il a le secret, lourdement appuyée par la mise en scène de l'artiste, puis par une mise à jour de ses motivations. Ces dernières sont à la fois très pragmatiques (pourquoi serait-ce à lui d'effectuer les basses besognes ?), mais aussi d'une portée politique fracassante. Pourque se retrouve-t-il à nouveau au bas de l'échelle sociale ? Avec cette simple question, c'est toute l'ampleur de la reconstitution d'une société sur des bases meilleures qui apparaît.


Comme toujours quand il s'agit d'un tome de construction, le lecteur a tendance à se concentrer sur les développements de l'intrigue pour essayer d'en anticiper les conséquences, plus que sur les dessins. Comme d'habitude, Charlie Aldard ne démérite pas, malgré sa propension à insister trop sur les gros plans, dépourvus d'arrière-plan. Outre les postures parlantes des personnages et les environnements très pragmatiques, l'artiste a à nouveau fort à faire en termes de mise en scène. Parmi les séquences les plus réussies, il y a le bûcher sur lequel sont jetés les cadavres de zombies, le lecteur peut voir le dégout des individus affectés à alimenter ce charnier. Adlard rend admirablement bien compte de la vulnérabilité de Carl sur son lit d'hôpital. Il prend visiblement plaisir à donner de la texture à la matière cervicale en train de gicler du crâne des zombies abattus à bout portant. En quelques cases, il sait fait apparaître la résolution de Rosita Espinosa d'abord face à Abraham, puis face à celui chez qui elle déclare vouloir emménager. Sa mise en scène de la mise en joue d'un récalcitrant par plusieurs personnes proches de Rick ne laisse planer aucun doute sur la nature du rapport de force, sur le fait que leur volonté sera appliquée sans choix démocratique, un grand moment de tension dramatique et de suspense.


Ce quinzième tome développe une nouvelle voie pour la communauté de Rick Grimes, pour celle étendue d'Alexandria. Toujours bien appuyé par Charlie Adlard (parfois un peu trop lourdement), Robert Kirkman passe à une autre phase, dans laquelle il est possible d'envisager de construire une société durable. Les personnages ont depuis longtemps perdu tout espoir de revenir à l'état antérieur, mais ils peuvent envisager de construire sur le moyen terme, à l'échelle de plusieurs semaines et même plusieurs mois. Du coup, d'autres questions de gouvernances se posent, pas plus faciles que les précédentes, toute relative à la force née du nombre.

Presence
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le 22 juil. 2019

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