L’Amérique si pudibonde ne manque pourtant pas de recoins sombres où s’expriment ses plus salaces fantasmes.


La bande-dessinée, née à la fin du XIXe, fut un de ses instruments, grâce à quelques dessinateurs sachant tenir le crayon (à défaut de le maîtriser) et les progrès techniques de l’impression qui ont permis aux Dirty Comics ou Tijuana Bibles de prospérer dans les années 1930 et les années suivantes. Vendues sous le manteau, ces histoires originales mais le plus souvent parodies coquines sur papier offrirent à leurs acheteurs des échappatoires délurés face à une décennie mise à terre après le krach boursier de 1929.


Réalisées anonymement - il valait mieux éviter de laisser sa signature dessus- , elles furent réalisées sans aucun respect des droits d’auteurs, parodiant de façon évidente les grandes stars de l’époque ou les illustrés qui faisaient alors fureur. Bon nombre de ces histoires étaient sans cesse réeditées par n’importe quel imprimeur avec le bon matériel, ne facilitant pas l’identification des responsables de ces histoires. Certains s’en sortaient d’ailleurs mieux que d’autres, avec des histoires parfois bien construites et bien dessinées, quand d’autres n’offraient que quelques pages sans grand intérêt.


Cela représente donc un pan important de l’histoire de la bande dessinée américaine, largement oublié et pourtant si excitant. Non pas pour ses histoires pornographiques, mais bien pour son côté rebelle et populaire. Le sexe n’y est d’ailleurs pas malsain, mais joyeux, avec un humour souvent présent, qui ne se prend pas au sérieux. Il y est bien souvent question de pénétrations vaginales, avec quelques excentricités à la marge, comme ce sera le cas dans ce tome avec de l’amour à plusieurs, un peu de zoophilie et même un peu de lesbianisme (et un énorme gode-ceinture qui ouvre une des histoires). Les femmes sont peu farouches, quand elles ne mènent parfois pas la danse.


Les éditions Allia avaient déjà publié quelques histoires dans un charmant petit recueil d’une centaine de pages, dont j’avais déjà longuement chanté les louanges. Ce deuxième tome est dans la même veine et quel dommage qu’il n’y en ait eu pas plus, c’est un régal.


La sélection proposée est variée, avec une dizaine d’histoires qui éclairent d’un œil coquin le contexte de leur réalisation. Quelques célébrités de l’époque s’en donnent à coeur joie, telle cette Greta Garbo dans une histoire joliment dessinée mais sans véritable chute. Les Marx Brothers font aussi leurs pitreries, mais dans un lit, et que c’est vilainement illustré.


Bien évidemment, les bandes dessinées de l’époque sont parodiées, les auteurs tentant même parfois de coller aux styles des artistes originaux. Les personnages ici présents sont moins connus que ceux du premier tome, mais Gontran, l’ami de Popeye (« J. Wellington Wimpy » en VO), toujours aussi gourmand, trouve refuge non pas entre les cuisses d’une belle jeune femme pourtant peu farouche mais bien entre celles d’une plus vieille parcequ'elle offre à manger lors de leurs ébats. Fritzi Ritz est ici présente sous sa forme de jeune femme, avant que le strip n’évolue pour devenir Nancy, très célèbre aux États-Unis. Skippy de Percy Crosby est ici un petit garçon perturbé par ses premiers émois. L’histoire est la plus polémique de cet ouvrage, avec cet enfant qui couchera avec une adulte, mais il témoigne aussi d’autres mœurs. Autre héros, autres mœurs, avec Count Screwloose, dont la parodie reprend le caractère farceur du personnage, pour une histoire là aussi piquante, où il est question d’objets et même de zoophilie.


Mais d’autres histoires sont encore plus surprenantes, révélant l’ingéniosité de leurs auteurs pour trouver leurs sujets, n’hésitant pas à puiser dans l’actualité brûlante. La célèbre criminelle Bonnie Parker qui faisait sensation à l’époque est l’héroïne peu commode de 8 pages bien mal dessinées mais assez drôles, ne serait-ce que pour le langage argotique utilisé. La guerre civile entre communistes et nationalistes en Chine à l’époque est même le sujet d’une autre de ces histoires, qui vaut plus pour cette curiosité que pour l’originalité de son histoire.


Ces histoires sont donc des reliques d’un autre temps, d’une autre époque, que ce soit dans leurs sujets ou dans leur existence : des BD de culcul légères pour oublier un quotidien pas des plus évidents à l'époque. Mais ce sont aussi grâce à ces sujets mais aussi leur ton qu’elles sont aussi fascinantes à découvrir, offrant à voir un pan bien particulier de la culture américaine et quasiment oublié depuis. Rappelant aussi en élargissant le point de vue que la bande dessinée érotique peut offrir bien qu’un simple inventaire de fantasmes dessinés.

SimplySmackkk
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le 30 janv. 2024

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