Rappelons la promesse de Donjon Parade, puisque cette série est au centre des nouvelles parutions de la saga de Trondheim et Sfar en 2025 : nous divertir avec des aventures courtes (32 pages seulement), qui peuvent être lues de manière autonome par rapport au reste de l'imposant corpus du Donjon, où l’absurde et un minimum de commentaire social font bon ménage en restant franchement du côté de la légèreté humoristique. Éternel repos en est un parfait exemple, et est donc difficilement critiquable.

Son point de départ est bien loufoque, puisqu'il s'agit d'un gourou vénéré par des milliers de disciples, qui se déclare être le "frère" du Gardien et qui veut mourir à l'intérieur du célèbre Donjon pour y attirer les foules de ses fidèles... ce qui permettrait d'ailleurs au Donjon d'augmenter encore son "business". Mais ce sont surtout les conséquences de cette décision qui s'avèrent réjouissantes : on discute autant sur le principe que les modalités de ce suicide assisté, on suppute les retombées commerciales comme les embarras que cette nouvelle "attraction" pourrait entraîner, une partie du personnel est pour, l'autre résolument contre, etc. Derrière la mécanique comique assez triviale mais efficace, l’album déplie tranquillement sa petite fable sur la monétisation du sacré, ces "bonnes idées” qui transforment les lieux en parcs à thèmes, voire même la transformation de l’empathie en business plan (avec création de produits dérivés...). C'est loin d'être bête, surtout avec certaines péripéties qui sont efficaces.

Herbert, notre héros - qui est une sorte de version heroic fantasy, en plus maladroit et plus pleutre, de Lapinot, si l'on y réfléchit -, est comme d'habitude partagé entre conscience et opportunisme, et fait comme toujours preuve d'un manque de sens pratique désastreux ; le Gardien, lui, rêve déjà de profits additionnel, et ira jusqu'à payer de sa personne pour arriver à ses fins (spoiler : on voit ses testicules plein cadre dans Eternel repos !) ; Marvin est franchement sous-exploité, comme cela devient un peu trop souvent le cas, ces derniers temps ; quant à Grogro, il EST Grogro, et on aime toujours autant ce side kick bêta.

Et puis Trondheim et Sfar jouent comme parfois avec les zones d'ombre de leur histoire : l’obsession d'avoir une “belle mort”, la tentation malsaine (et puérile) de devenir un objet de culte immortel, et puis, quand même, ce parfum de "fin de vie" un peu inhabituel permettrait à Eternel repos de se distinguer du tout-venant, mais nos deux auteurs ne vont pas assez loin dans la démarche pour que cela leste le livre de la profondeur qui manque toujours aux Donjon Parade. Ils ne sont, il est vrai, pas aidés par les choix graphiques de Thibaut Soulcié qui, s'il injecte une énergie communicative à l'action, et sait servir les ruptures de ton du scénario, œuvre dans un genre trop caricatural, trop "clair", pour que les ombres portées par l'histoire y survivent. Et, comme souvent, la résolution paraît un brin expédiée...

Bilan : Éternel repos s’impose comme un bon cru du Donjon Parade, mais un livre plutôt "mineur” : les fidèles se régaleront, les néophytes pourront entrer sans mode d’emploi : et tout le monde refermera le livre avec un petit sourire (honteux ?), et l’envie d’un bol de bouillon... car ce qui restera probablement le plus longtemps dans les mémoires, c'est l'excellente idée du distributeur automatique de bouillon, toujours en panne !

[Critique écrite en 2025]

https://www.benzinemag.net/2025/09/26/donjon-parade-tome-11-eternel-repos-mourir-au-donjon-quelle-brillante-idee/

Eric-BBYoda
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le 26 sept. 2025

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