Retour à Flatstone, contrée états-unienne à forte communauté germanophone, où ont échoué le coach Malone et son poulain Lemmy, une jeune promesse du ping-pong. Le premier tome de Valhalla Hotel, décapant, avait entériné la disparition du pongiste dans des circonstances plutôt étranges. On apprend dans cette suite que cet événement succède à une série de seize cas analogues. Le non-sens qui semblait présider aux activités policières dès les premières pages de la série laisse une nouvelle fois entrevoir tout son éclat : « Si je devais déclencher une enquête à chaque fois qu’un clébard renifle le cul d’une chienne en chaleur… », assène aussitôt le shérif, postulant qu’il s’agit davantage d’une fugue vers l’aventure que d’un kidnapping tragique.


D’ailleurs, « qui s’intéresserait à des péquenauds adolescents biberonnés au Dr Pepper qui passent leurs journées à se tirer sur la nouille dans la benne du pick-up de papa » ? Betty, l’adjointe du shérif, est cependant moins désinvolte : elle soupçonne Frau Winkler, la gérante du Valhalla Hotel, d’être impliquée dans ces disparitions. Elle décide par conséquent d’investir les lieux… Ce qui fonctionnait si bien dans le premier tome continue à produire ses effets dans « Eat the gun » : un rythme trépidant, un ou deux gags par planche, un sens de l’absurde porté à incandescence, une cholarité exemplaire, une qualité figurative à la hauteur de celle du récit… Il faut y ajouter les super-pouvoirs de Tausend, les nouveaux rôles dévolus à El Loco et Melinda, ainsi que cette manière idoine dont Zawalski se pose en observateur clinique du monde. Ainsi, alors que le véhicule du shérif est écrasé par un char, il commente dans une parfaite neutralité : « C’est clairement un refus de priorité. »


Valhalla Hotel, c’est du Bertrand Blier reformaté et actualisé. Une grange part en lambeaux ? « Pas grave, je voulais repeindre. » Melinda se comporte comme Terminator ? « On ne peut pas dire qu’elle soit d’une grande douceur pour une femme. » On monte aussi à moto en s’agrippant aux seins de la conductrice, ou on parlemente sur le siège des toilettes… C’est sans compter ces situations presque anecdotiques transformées en moments de grâce : l’énonciation des clichés hollywoodiens lors de l’exploration du motel (un peu à la manière des discours méta de Scream), une posture désespérée et tremblotante devant un blindé, une déclaration raciste faisant référence à uncle Ben’s, une cérémonie religieuse où sont assimilés tout et n’importe quoi…


Tout aussi jubilatoire et trépidant que son prédécesseur, « Eat the gun » confirme qu’en dépit de quelques faiblesses conceptuelles (dont le manque de sous-propos), la formule trouvée par Patrice Perna et Fabien Bedouel fonctionne à merveille. En termes de gags et de caractérisation, c’est du millimétré : les réjouissances s’amoncellent et les protagonistes, principaux comme secondaires, prennent de l’épaisseur. Après la lecture, on a qu’une hâte, c’est de remettre le couvert avec le troisième volume.


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Cultural_Mind
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le 17 juin 2021

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