El Perceptor
El Perceptor

BD franco-belge de Flab (2003)

Si au cours de ces dernières années lors d’un apéro chez une connaissance alors qu’il vous demande ce que vous voulez boire et que vous répondez avec gourmandise « une bière » et qu’il vous rapporte une Heineken, peut-être avez-vous été déçus de recevoir une boisson au goût si proche de l’eau et adaptée aux palais sans papilles gustatives, mais peut-être avez-vous été surpris de constater l’emballage graphique de la bouteille. En effet, pendant une durée limitée qui a tout de même duré assez longtemps, Heineken avait été redécorée en demandant à des designers internationaux de proposer de nouveaux habits de fête. Pour les bouteilles estampillées françaises c’est Flab qui s’en est occupé.
Si l’artiste a travaillé sur quelques projets de commande dans le design et la publicité et a même co-fondé une marque de lunettes, il a publié quelques bandes dessinées sous son nom au début des années 2000, dont El Perceptor est alors la plus marquante.
Bien éloigné de l’univers un peu policé de la communication dans lequel opère maintenant l’illustrateur et designer, El Perceptor est une œuvre bien plus rugueuse, aux angles bien vifs. Dans une Amérique latine indéterminée, El Perceptor est un recouvreur de créances, un homme de muscles et d’action, masqué par une cagoule qui lui garantit une allure terrifiante. Il ne fait pas dans la dentelle, mais ses agissements pèsent sur lui. Ce qu’aime Mateo, son véritable prénom, c’est enfiler un autre masque, Tiger, celui d’un luchador, pour se battre sur le ring. Il recherche une confrontation avec un catcheur invaincu, dont les origines sont reliées à celle de la famille de Mateo.
Homme fort mais homme faillible, El Perceptor est un croque-mitaine, mais dont les états d’âme nous sont confiées tout du long de l’album. Cette force de la nature est ainsi tourmentée par ses actes, mais aussi par son désir, après avoir rencontré une jeune femme mystérieuse. Mateo a perdu la voix, suite à un effroyable acte de son père, il n’a donc plus la possibilité de s’exprimer, de cracher ce qu’il a sur le coeur. Ironiquement, son masque de Perceptor est une contrainte, imposée par son père aux ordres d’une organisation de libération, mais son autre masque de catcheur est une libération, un espace de liberté, qui pourtant le piègera à son tour.
El Perceptor est ainsi une œuvre assez noire, au ton nihiliste et à la conclusion sans espoirs. Mateo est un bourreau et une victime, il n’a pas connaissance de tous les enjeux autour de lui. S’il avait pu vivre une autre vie, le fatalisme qui suinte de cet album ne laisse aucun espoir sur la possibilité de jours meilleurs.
L’album est malheureusement un peu gâché par une dernière partie qui relie tous les fils entre eux, après quelques pistes présentées. L’histoire devient malheureusement confuse et précipitée, souffrant de son format. Le décliner en plusieurs tomes pour offrir un développement mieux construit aurait pu profiter à ce scénario intriguant tant qu’il pose des bases mystérieuses et entraînantes mais décevant quand il construit le tout pour mieux en finir d’un dernier coup de masse brutal.
Maladresse de jeunesse peut-être, Flab avait alors depuis quelques petites années son diplôme national d’Arts plastiques et la vingtaine encore juvénile, mais en dehors de cet écueil, il faut reconnaître à l’album une esthétique réussie. Le trait est vif, anguleux, parfois déformé, d’une possible influence de la bande dessinée américaine noir et indépendante. Les couleurs sombres et ternes, avec quelques éclats, sont de l’oeuvre de Flab, décidément homme orchestre de cette BD. A la frontière du grotesque, mais sans jamais sombrer dans le ridicule, le visuel est à l’image du ton général, faussement pop, assurément sombre, qui réussit à installer ce personnage ambigu dans un monde peu réjouissant. El Perceptor reste maladroit sur bien des points, parfois grossier, mais il propose tout de même une personnalité assez atypique. Il est regrettable que Flab ait délaissé ce monde de la BD, et son exploration de ses sombres possibilités, car le potentiel semble maintenant bénéficier à des commanditaires qui recherchent des éléments visuels simples et colorés, malheureusement passe-partout.

SimplySmackkk
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le 26 sept. 2023

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