Nul doute que Bernard Werber mérite son entrée dans le dictionnaire des meilleurs auteurs francophones de romans de ces dernières années.
Mais avec sa première bande-dessinée originale, le résultat est une belle catastrophe, un mélange pâteux de bonnes idées piétinées par une histoire truffée à la gorge de rebondissements idiots.
Le potentiel de base était pourtant intrigant, avec Amandine, jeune femme agacée de sa vie de merde et qui rejoint un club de suicidés en ligne, Exit. Pour être tué, il faut tuer. Une idée intéressante, présentée dans un premier tome qui pose des bases mais qui déjà se foire dans les facilités au fil de la lecture, un gâchis hélas renouvelé de pages en pages.
Prenons l’exemple du deuxième tome (sur trois) qui se gonfle d’inepties et de clichés dès les premières pages.
A la troisième page, Amandine, notre héroïne, apprend que Pierre, son petit ami qu’elle a cru mort dans le premier tome dans un assassinat par balles et un accident de voiture… était toujours vivant, avec une éraflure tout de même.
A la page suivante, Pierre lui révèle qu’il a rejoind les rangs d’Exit, société secrète pourtant responsable de son accident, alors que sa philosophie joyeuse dans le premier tome allait contre les envies suicidaires d’Amandine.
A la cinquième page, un email pour alerter les autorités est envoyé… par un chat qui a marché sur la souris.
Dans les deux pages suivantes, Amandine est torturée… dans une salle de tortures reconstituée à la médiévale dans un château, c’est important les traditions.
Les autorités alertées arrivent bien à la page 8, mais en quelques cases les policiers sont convaincus que ça ne vaut pas le coup d’aller enquêter dans le château. Il devait y avoir une manif’ de gauchistes à tabasser pas loin.
Heureusement Amandine sera secourue par un personnage secondaire du premier tome, membre d’Exit mais qui se dit que quand même, c’est pas très gentil ce qu’on fait les gars.
Et ainsi de suite, et ainsi de suite.
Bernard Werber démontre qu’on n’écrit pas de la bande dessinée comme on signe des romans. Contraint par la place, il aligne péripéties et péripéties sans grandes originalités, et la plupart déjà vues ou enterrées à raison depuis. Qui oserait encore écrire une scène avec un chat qui envoie un email en marchant sur lune souris ? Sans pouffer de rire.
A moins que, mal conseillé ou mal informé, il estime que le public de bandes dessinées soit trop idiot si on ne lui balance pas quelques âneries mouvementées pour occuper sa lecture.
Le troisième tome étoffe tout de même son idée, en fournissant des explications et en prenant un peu plus de recul pour justifier l’existence d’Exit dans des sociétés malades. Mais là encore, en ajoutant des idées aux idées, et pas des plus fraîches, le tome 3 se termine avec le soupir bien profond.
Amandine reste un personnage intéressant, une jeune femme forte en gueule, une aventurière malgré elle. Un caractère un peu vif, mais à peine étoffé par quelques états-d’âmes. Elle incarne surtout bien des clichés d’une BD d’arrière-garde, où le personnage féminin se définit encore majoritairement par rapport aux hommes (on lui offre trois petits amis au cours de cette trilogie, tout de même) et pire, est plus souvent secourue que maîtresse de ses décisions.
Dessinée par Alain Mounier pour les deux premiers tomes et Eric Puech pour le dernier, le visuel de la série accuse son époque, dans le trait passe-partout ou les couleurs plates, d’un réalisme sans particularités, plus désireux de singer (et sans éclats) la réalité que d’offrir une véritable claque graphique.
La philosophie à l’épreuve de la fiction, un des fils rouges des œuvres de Bernard Werber, est ici bien mal employé, avec cette société secrète auto-régulatrice des pulsions autodestructrices de l’homme. Une idée audacieuse, au potentiel certain, noyée dans une aventure gavée de clichés aux petits relents de thriller du pauvre.