Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Matt Smith, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il contient les couvertures originales de Smith ainsi que les couvertures variantes réalisées par Duncan Fegredo, Dan Mora, David Petersen, Drew Zucker, Jorge Corona, Peter Bergting, Charles Paul Wilson III, Michael Avon Oeming, Dustin Nguyen, David Rubín, Jeff Smith.


Il était une fois, enfin, juste cette fois-à, dans un petit village campagnard, un jeune homme se préparant à sortir, avec un pantalon noir, une chemise blanche, une cravate noire au noeud mal serré, une veste noire et un cartable. Il se passe un coup de peigne, sort en courant de sa chambre, et prend au passage la tourte à la chèvre que lui tend sa mère, avant de sortir en courant. Ansel avance rapidement dans la rue du petit village évoquant le haut moyen-âge, les gens regardant d'un air navré son accoutrement, le prenant pour un adolescent un peu dérangé. Il arrive devant la rivière et s'élance sur le petit ponton en s'adressant au troll qui fait office de passeur avec sa barque à fond plat comme bac. Après quelques échanges de banalités, Ansel débarque de l'autre côté et court rejoindre ses camarades dans la maison dans les arbres, avec des passerelles d'un tronc à l'autre. le sujet du soir est de savoir s'ils ont tous choisi leur quête qu'ils doivent annoncer lors de la cérémonie du lendemain, en public, en présence des libraires. le premier indique qu'il va manger de la chair de sirène et pouvoir vivre ainsi indéfiniment. Dee indique qu'elle a déjà fait la sienne l'année passée. Archer n'a aucune idée de ce qu'il va pouvoir choisir. Quand vient son tour, Ansel déclare fièrement qu'il va aller trouver les Folklords Tout le monde se tait et le regarde fixement : c'est formellement interdit par les libraires et il faut être malade dans sa tête pour se fixer une telle quête.


Ansel préfère sortir de la pièce plutôt de supporter leur regard d'incompréhension. À l'extérieur, il est rejoint par Dee qui l'interroge sur son choix, tout en pensant elle aussi que c'est idiot. Ansel finit lui expliquer que c'est parce qu'il a des visions : dans ses rêves ou parfois même éveillé, il contemple un autre monde dans lequel les maisons sont hautes comme des montagnes, il y a des vaisseaux qui volent dans les airs, des charriots qui avancent sans cheval, et, répondant à Dee, oui, les gens s'habillent comme lui dans ce monde. Dee indique qu'elle ne comprend pas et qu'elle continue de trouver son choix de quête idiot. Il répond de manière sarcastique, et elle tourne les talons, fâchée. Dans un autre monde quelqu'un tape à la machine à écrire, regarde l'heure à sa montre, pense à quelqu'un avec un masque à gaz de la première guerre mondiale, regarde par la fenêtre, prend l'avion, contemple les gratte-ciels, conduit sa voiture, pointe un revolver. La cloche sonne le lendemain, et Ansel se réveille brusquement, conscient d'être très en retard pour la cérémonie.


Une histoire complète de plus parmi tant d'autres dans la production industrielle pléthorique des comics américains. Mais peut-être que le lecteur a déjà eu l'occasion d'apprécier l'écriture de Matt Kindt, ou que le décalage de ce jeune homme en uniforme d'écolier moderne dans un petit village de Fantasy attire son regard… Pourquoi pas ? le début permet au lecteur de bien comprendre l'idée des auteurs : un tout jeune homme doit accomplir son rit de passage, sa quête, et il est influencé par la civilisation urbaine moderne, alors qu'il vit dans un monde moyenâgeux avec des créatures de contes et légendes. Amusant. Matt Smith dessine de manière descriptive, avec une petite influence Mike Mignola pour les monstres. Pas désagréable, l'influence étant digérée, ni servile, ni plagiaire. Sympathique, facile à lire, bien balisé. Ça ne rate pas : dans le deuxième épisode les 2 héros (Ansel & Archer) passent par une forêt sombre et étendue et tombent d'abord sur une femme laide et forte, puis sur une fragile jeune fille, cette dernière leur parlant d'une créature qui utilisent des bonbons pour piéger les voyageurs, enfants comme adultes. Les aplats de noir se font plus denses pour invoquer la part des ténèbres. Les dessins conservent un équilibre remarquable entre description précise, et contours simplifiés. Bien sûr Ansel tombe dans le piège et doit goûter aux bonbons, son geôlier lui promettant une séance de torture dont il se souviendra, mais pas longtemps parce que la mort est assurée. Les auteurs continuent de jouer avec l'idée du monde réel influençant le monde de Fantasy, avec l'utilisation d'une perceuse bricolée avec les matériaux de l'époque, utilisée comme instrument de torture. Sympathique. Et puis…


Sans trop de surprise, les apparences, en particulier des femmes, sont trompeuses et la quête continue vers d'autres contrées, d'autres rencontres. Mais… le dessinateur ne cache pas son admiration pour Mike Mignola et sait en retranscrire une partie de la saveur dans ses cases. Il n'essaye pas de jouer sur l'épuration des formes, jusqu'à approcher des abstractions en déformant les silhouettes, en poussant au maximum le contraste entre zones noires et zones blanches. Il reprend plutôt des éléments de détails, tels que les créatures sans iris ni pupilles, les troncs d'arbres dépouillés, les zones noires, les créatures simiesques. D'une certaine manière, il parvient parfois à reproduire l'esprit des dessins de Mignola, ou plutôt leur ambiance caractéristique, sans faire du Mignola en moins bien, ou en catastrophique, une démarche proche de celle de Duncan Fegredo quand il avait illustré deux chapitres d'Hellboy, Smith jouant plus sur des dessins simplifiés, ce qui ne veut pas dire des cases vides. Il est évident qu'il aime bien représenter des visages en gros plans, sans en abuser, sans exagérer l'expression des visages, avec une bonne expressivité, évoquant parfois Jeff Smith (le créateur De Bone), mais là encore comme une influence affichée, sans essayer de faire du Jeff Smith (en moins bien). Mine de rien, Smith s'occupe avec habileté des costumes des personnages, avec à nouveau des représentations évidentes et simples, mais aussi une réelle variété et des tenues donnant une indication sur le caractère de leur propriétaire. La direction d'acteurs est de type naturaliste, chaque personnage adoptant des postures évidentes et expressives. S'il y prête un peu d'attention, le lecteur constate rapidement que la gestion de la représentation des décors est tout aussi élégante : ni trop, ni trop peu, avec un bon niveau de détails quand nécessaire, et un niveau pour rester à l'état d'impression générale quand une scène le requiert. L'artiste découpe ses planches également en fonction de la nature de la séquence, pouvant passer de trois cases de la largeur de la page, à une dizaine de cases pour donner un rythme plus rapide à une action.


Même s'il n'est pas forcément très accroché par le récit, le lecteur se rend vite compte qu'il prend un grand plaisir à la narration visuelle, complètement en phase avec le récit, s'élevant au-dessus de la collection de clichés visuels fades et prêts à l'emploi, pour montrer des personnages uniques, et des endroits avec leur propre identité. Et puis… Il y a aussi ces éléments presque superfétatoires du récit : la voix en commentaire qui joue sur les mots, par exemple en décortiquant l'expression Il était une fois, sur un plan sémantique. Il y a cette impression qu'un auteur virtuel se mêle à la narration de l'intrigue, comme s'il y avait un personnage écrivain faisant le lien par écriture entre le monde de Fantasy d'Ansel, et celui contemporain, le premier étant réel, le second fictif. Il y a aussi ces libraires qui semblent en savoir plus sur les livres interdits qui évoquent le monde moderne, sur les Folklords pour lesquels ils proscrivent toute quête qui aurait pour objet de les rechercher, de les approcher. Les aventures d'Ansel ne se limite pas à parcourir le monde, à chercher les folklords. Sa quête gêne, remet en cause l'ordre établi. Comme à son habitude, Kindt sait montrer son plaisir d'écriture par des petits détails. Par exemple, le lecteur découvre en fin de chaque chapitre une carte du monde montrant uniquement les endroits parcourus par Ansel : un endroit s'ajoute à la fin de chaque épisode, ce qui a pour effet de montrer à quel point il n'a jamais voyagé. le lecteur se doute donc bien que le récit va basculer en mode métacommentaire à un moment, qu'il y aura peut-être un personnage d'écrivain démiurge, tenant littéralement la vie des autres personnages au bout de ses doigts, au fur et à mesure qu'il écrit des mots sur une page blanche avec sa machine à écrire. Il y a de cela, mais pas tout à fait, avec un petit décalage qui introduit du flou, une autre possibilité, une autre façon d'envisager les choses, tout en permettant aussi d'apprécier la quête et les aventures au premier degré, un équilibre élégant.


Bon, c'est parti pour un récit de Fantasy, avec une petite inversion des codes, le jeune homme s'habillant comme un lycéen uniforme, avec des dessins sympathiques, sans être renversant. En fait, Matt Smith se nourrit des exemples de Mike Mignola et de Jeff Smith pour des dessins plus classiques, avec une saveur très particulière, très agréable, nourrissant le récit. En fait l'autre Matt (Kindt) raconte bien une quête avec des embûches au premier degré, mais avec des personnages pas stéréotypés, et un jeu amusé entre les réalités, élevant l'histoire au-dessus de sa condition de récit de genre, pour une expérience ludique, sans être intellectualisée ou laborieuse.

Presence
8
Écrit par

Créée

le 13 févr. 2021

Critique lue 87 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 87 fois

D'autres avis sur Folklords, tome 1

Folklords, tome 1
Kab
6

Critique de Folklords, tome 1 par Kab

Ansel est un jeune garçon qui porte des tenues étranges des "costumes" et des "cravates". A ses dix-huit ans comme tous les autres de son âge, il doit se choisir une quête. La sienne est simple...

Par

le 6 févr. 2021

1 j'aime

Folklords, tome 1
Presence
8

Jeu amusé entre les réalités

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Matt...

le 13 févr. 2021

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime