Ça a failli ne pas être manichéen.

Très gros potentiel relativement bien exploité, mais pas au maximum de ses capacités ; c'est le ressenti que m'a laissé Fullmetal Alchemist suite à la fermeture du dernier volume. Nous n'étions alors pas loin de la confection d'un des Shônens nekketsus les plus aboutis qui soient. Un contenu plus mature, quelques questionnements philosophiques qui n'engagent à rien, le tout, dans un univers original et bien manié où les prétextes aux confrontations sont nombreuses mais savent s'effacer au profit de l'intrigue. On tenait quelque chose, mais ça nous a glissé entre les doigts.


Puisqu'il s'agissait pour Hiromu Arakawa de faire une forte impression dès les premiers chapitres, le rendu se voulait d'emblée prometteur et novateur. Un univers très inspiré - pour ne pas dire imprégné - de l'imaginaire d'une Europe occidentale de la fin du dix-neuvième siècle, aussi bien sur le plan technologique qu'artistique auquel s'agglomère l'alchimie qui changera la donne. Alchimie aux contours délibérément mal définis dont on ne connaîtra jamais vraiment trop le fonctionnement tout en se contentant d'en observer les applications. Un «Ta Gueule C'est Magique» qui fait l'affaire et offre des usages divers et variés autant sur le plan de la confection au sens large qu'au niveau des combats.


L'alchimie en plus de constituer le système usuel «d'énergie spéciale» coutumier au genre nekketsu constitue aussi le cœur de l'intrigue. D'abord source de la quête de nos deux protagonistes, il est aussi bien le facteur des pires atrocités autours desquelles se nouent des complots gouvernementaux que de l'avancée technologique sur laquelle repose la civilisation scientiste d'Amestris.


Suite à la tentative infructueuse de ramener leur mère à la vie en usant de l'alchimie, Alphonse et Edward Elric sacrifient malgré eux le corps de l'un là où le second abandonne un bras et un jambe afin de relier l'âme de son frère à une armure en guise de support physique de substitution. Pour une fois, les protagonistes d'un Shônen sont responsables de leur propre déconvenue. À mi-chemin entre Icare et Faust, les frères Elric paient leur démesure et partent en quête du corps originel d'Alphonse afin d'y replacer son âme.
Dotés d'un talent certain pour l'alchimie, ils rejoindront l'armée d'Amestris afin d'accéder à une base de données suffisamment conséquente pour les aider dans leur quête. C'est alors à leur corps défendant qu'ils se retrouveront mêlés à une conjuration interne reposant autour de la pierre philosophale et de ses vertus tant recherchées.


S'axant dès le départ autour du constat brutal que la vie ne peut être contrôlée malgré les désillusions prométhéennes permises par l'alchimie - qu'on pourrait considérer comme une allégorie de la science - Fullmetal Alchemist promet d'être assez pesant et douloureux en plus de prêter à la réflexion. Entre l'origine de la quête des protagonistes et les divers éléments dramatiques qui viendront très vite teinter le récit de larmes (je fais référence à une certaine chimère et un coup de fil sous la pluie), on sait que l'on tient entre ses mains un Shônen qui sort du lot. On retrouve certes les codes du nekketsu classique, les archétypes de personnages auxquels on est habitués (surtout du côté des antagonistes), mais il y a ce petit plus qui offre le semblant de gravité nécessaire pour épaissir le cuir de l'œuvre et la rendre réellement consistante.


Mais malheureusement, on tombe très vite dans les travers du genre. Les adversaires sont très méchants ; pas question de nuance. Ils commettent un génocide sans état d'âme avec le sourire aux lèvres, aspirent aux lubies démesurées du parfait petit méchant lambda, si bien que l'on peine à ressentir vraiment quoi que ce soit lorsque leur sort advient.
Car en dehors du meurtre inattendu d'un personnage de premier plan, le camp du bien (Oui, ça a failli ne pas être manichéen...) ne subira aucune perte. Au nom de la justice et l'amour et... vous connaissez la suite, ça casse du méchant et déjoue de la conjuration grâce aux bons sentiments.


Du postulat initial, il ne reste pas grand chose. On se perd dans une intrigue qui - ma foi - se laisse lire mais dont les multiples rebondissements n'occasionnent guère la surprise ou une quelconque prise de risque de l'auteur. C'est pourtant le drame du premier quart du manga qui aura su séduire les lecteurs fidèles ; c'est les abandonner sur le bas côté que d'opter pour la solution de facilité des gentils aux idées propres contre les méchants aux plans machiavéliques. Le contexte se voulait à l'origine plus complexe. Opter pour une confrontation entre factions aux idéaux divergents mais se valant tout autant eut été autrement plus pertinent et raccord à l'univers construit dans les premiers tomes qu'un affrontement entre le bien et le mal.


Hiromu Arakawa aura au moins eu l'élégance de ne pas faire trop traîner l'épilogue et s'arrêter avant que l'hémorragie ne devienne vraiment sanglante. Je pense qu'après avoir introduit trop de protagonistes, le fil des intrigues respectives s'est emmêlé pour donner lieu à un sac de nœuds qu'on aurait cherché à défaire au ciseau. J'ignore si elle (l'auteur est une femme, fait rare dans le milieu du Shônen) avait en tête la destination précise vers laquelle orienter son manga dès l'origine, mais j'émets de sérieux doutes à ce propos. Le changement de ton passant du tragique à la tension modérée matinée de confrontations sympathiques tend à indiquer que tout ne semblait pas cousu de fil blanc d'un bout à l'autre de l'ouvrage. Sans doute est-ce un tort. FMA n'en est en tout cas pas ressorti grandi.


Cela n'ôte en rien à la qualité - relative - de l'œuvre. On reste au-dessus, bien au-dessus de ce qui se fait dans le genre nekketsu. On sait raréfier les combats et donner une place plus conséquente au scénario, c'est aussi à mettre au crédit de l'auteur. Je n'ai en revanche pas souvenir de personnages franchement marquants ou de preuve d'originalité vraiment déconcertante en dehors de l'audace des premiers tomes.


Un incontournable peut-être un peu trop surestimé qui n'aura pas tenu l'intégralité de ses promesses mais qui aura en tout cas fait du mieux qu'il pouvait pour les tenir. L'adaptation animée FMA : Brotherhood est très fidèle au matériau d'origine et respecte les dessins à merveille ; manga ou anime se valent et s'apprécient au même titre.

Josselin-B
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le 12 nov. 2019

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Josselin Bigaut

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