Gangsta.
7.1
Gangsta.

Manga de KOHSKE (2011)

They, they talkin' that, that gangsta sh*t...

Ghetto pour les uns, ville « bien plus accueillante qu‘[on ne le croit] » pour d’autres Ergastulum est entourée par quatre communautés fermées (nouvelle déclinaison des gated communities) – où résident en plus des troupes de l’armée pour intervenir au cas où -, mais s’il y a des points de passage pour accéder à l’extérieur, aucun mur n’est présent entre Ergastulum et son environnement proche. Toutefois, qu’il n’existe pas de rideau de fer stricto sensu n’empêche pas son existence dans les esprits et les corps. Peut-on s’échapper d’Ergastulum ? Les femmes et hommes présents n’ont en général rien à gagner à en sortir (à part Alex ?) ; idem pour les crépusculaires ou les égarés [ces derniers sont le fruit d’une union entre un(e) crépusculaire et un(e) non-modifié(e)] qui, en dépit de leurs extraordinaires capacités physiques, doivent prendre du cerebrum pour vivre (entre 30 et 49 ans en moyenne). Des surhommes dépendants donc si bien qu’il ne faut pas en faire les maîtres de la ville. Outre l’armée qui les surveille il existe aussi des personnes non-modifiées dont les capacités n’ont rien à envier aux crépusculaires : les anciens membres de la Brigade Esminets, chargée d’éradiquer les indexés. Officiellement disparue depuis quinze ans elle aurait refait surface dernièrement…


Les questions de l’intégration et de la régulation des comportements ne sont donc pas une mince affaire et on peut voir derrière ce monde a priori différent du nôtre, de lourdes interrogations sur la capacité d’une société à gérer et accepter (ou non) des individus différents, fragiles à leur manière, qui ont été « fabriqués » pour répondre à une certaine urgence passée (cf. le début du tome 3) mais dont les autorités ne savent plus quoi faire. Comme les crépusculaires – et surtout leurs descendants – n’ont pas eu la bonne idée de tous disparaître, ils ont été rassemblés au même endroit. Un geste d’une grande délicatesse…


Si les autorités ont circonscrit ainsi le danger il reste à gérer la ville. Qui est aux commandes pour gérer ce joyeux salad-bowl ? Quatre « familles » (la guilde Paul Klee, les clans Corsica, Monroe et Cristiano) aux relations compliquées (la guilde rassemble des indexés, les Corsica détestent les indexés, les clans Monroe et Cristiano sont plus ou moins liés…). Elles ne sont donc pas capables d’éviter tous les meurtres, tensions, conflits entre humains et indexés… La police est présente et surveille le tout mais intervient rarement frontalement. Dès lors au fil des pages on voit sous nos yeux se développer tout un écosystème avec ses lois pour les indexés (une reprise quelque peu modifiée des lois pour les robots), son producteur de cerebrum (le bon Dr Theo), son bureau de tabac et armurerie, son clan protecteur des indexés (les Cristiano), les trublions qu’on retrouve dans les bons et (surtout ?) dans les mauvais coups : l’agence Services en tous genres de Nick et Warwick, qui réaliste tout type de missions (toute référence à un jeu vidéo serait fortuite)…


Autant dire que les journées sont animées et bien remplies : on peut commencer la matinée menotté, se faire tirer dessus, prendre la pluie, dégommer quelques personnes, torturer un type pour avoir des infos, voir ses vêtements ruinés… et il est même pas cinq heures pour finir allongé contre un mur pour se remettre de ses émotions. L’arrivée d’Alex dans ce quotidien mouvementé va bousculer bien des choses, et ce n’est pas seulement parce que l’appartement de Warwick et Nicolas est petit. Des souvenirs ressurgissent (Alex ressemble à une fille qui a vécu auparavant avec les deux hommes) et la lumière se fait peu à peu sur le passé d’Ergastulum, sur les crépusculaires, la rencontre entre Nick et Warwick, pourquoi ce dernier est-il borgne… via des retours en arrière ou des scènes où le présent et le passé s’entrechoquent quelques instants. Apparaît aussi le personnage de Nick, qui permet de faire intervenir le langage des signes (dans une dimension pas aussi marquante que A Silent Voice mais le contexte est bien différent) ce qui lui donne un certain caractère, en plus de ses attentions pour Alex...


Assez vite une menace se précise : des massacres d’indexés ont lieu, qui pourraient bien remettre en cause le fragile équilibre de la ville. Bon débarras pour les uns, drame pour les autres, ces meurtres sanglants (corps découpés…) sont synonymes du retour de la Brigade Esminets, ce qui va embarquer les principaux protagonistes de Gangsta dans un conflit qui pourrait bien accoucher d’une guerre des gangs. A qui profitera le crime ? Il faudra lire la série pour le savoir…


Une série qui avance à son rythme. Kohske ne brûle pas les étapes et évoque ainsi beaucoup de sujets en plus des habituels boum-bang-crac-aah d’une telle série (comme les différents rapports entre humains et indexés, le sevrage et ses effets secondaires, la jeunesse perdue, l’univers de la prostitution, l’amour…), parfois brutalement, parfois tout en douceur. On ne démarre donc pas pied au plancher, ce qui peut donner l’impression de stagner, d’avancer trop lentement. Surtout, même si le total de personnages est relativement réduit certains se ressemblent (et ce n’est pas seulement parce qu’il y a des borgnes) si bien qu’il suffit parfois d’en voir quatre ou cinq d’évoqués rapidement pour être perdu, ne plus savoir qui et qui, qui appartient à tel clan… Il faut alors se reporter au début du volume, où sont récapitulés les noms et visages des principaux personnages qui apparaîtront dans les pages du tome, pour se rafraîchir la mémoire. Enfin, une dernière critique que l’on peut adresser c’est le décalage entre des personnages qui, pour certains d’entre eux, en imposent (Gina Paul Klee !), et un paysage plutôt fade. Á Ergastulum les décors manquent de caractère et si on voit les résidents habiter la ville l’inverse n’est pas vrai. Nous ne sommes pas dans Sin City et c’est dommage que l’aspect architectural soit si lisse, marque peu les esprits, comme si le décor n’était qu’un élément secondaire, dont on puisse faire l’économie.


Côté dessin, l’auteur impose sa patte au fil des pages. Si on peut repérer ponctuellement quelques défauts dans l’apparence de tel ou tel (des pieds avec une taille très réduite, un corps rapidement dessiné…) et si l’architecture n’est pas inoubliable, l’ensemble se révèle fluide, avec un dynamisme certain quand vient l’heure de la baston. Et là Kohske ne rechigne pas à nous montrer des têtes qui volent ou plantées par des lames, des boyaux, des cadavres entassés et autres joyeusetés que je vous laisse imaginer… Certaines scènes ne sont donc pas à mettre entre toutes les mains.


Gangsta c’est finalement une intéressante galerie de personnages avec des gueules cassées et des histoires souvent tragiques. Si l’humour n’est pas absent de cet environnement on peut aussi apprécier quelques (rares et courts) bons moments. Tout n’est pas noir à Ergastulum. L’aspect chroniques urbaines/de quartier du manga n’est pas pour déplaire, la série proposant une vraie gradation dans les affaires qui se présentent. Surtout, derrière les meurtres et les règlements de compte ce n’est pas seulement le chaos qui est à l’œuvre : on peut y voir une recomposition permanente du tissu de la ville avec, en filigrane, un équilibre dynamique, qui se modifie constamment en fonction des événements. Un mouvement qui fait écho au propos de Kohske, à la fin du tome un : il signale qu’il s’agit de sa première grande série (ce qui ne l’a pas empêché de lancer, en parallèle de Gangsta, Doodle) ce qui implique que le scénario et l’univers n’ont pas été prévus à l’avance, planifiés dans les moindres détails. Force ou faiblesse ? A vous d’en juger si vous vous laissez tenter par ce cocktail.

Anvil
6
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le 26 juin 2015

Critique lue 884 fois

1 j'aime

Anvil

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