C'est dans cette album qu'apparait pour la première fois la célèbre automobile de Gaston, objet emblématique de la série appelé à un grand avenir et qui mérite bien que l'on se penche un peu sur son cas.

Une fois de plus je déplore de ne pouvoir intégrer ni image ni notes de bas de pages ! Les références sont donc intégré au corps du texte entre parenthèses et en italiques.

Lorsqu'il acquière son automobile en 1964, Gaston n'est déjà plus le personnage replié sur lui-même coupé du monde de ses premières apparitions, il essaye régulièrement de mettre son génie créatif au service de la rédaction et développe une amourette avec la secrétaire Jeanne. Sitôt qu'il acquière sa voiture, il s'empresse de la présenter à Fantasio avec lequel il entretient des rapports de type clown blanc, auguste mêlant amour et animosité. Tout à sa joie, il ignore les sarcasmes de ce dernier.

Gag n° 321 1964 :

Fantasio : « C'est sérieux ? Vous l'avez achetée !?

Gaston : Oui... D'occasion, tu sais !... Le gars, ça lui fendait le cœur de s'en séparer...

Fantasio : … ça ! C'est tout ce qui lui restait de ses aïeux.

Gaston : Oh! Il ne poussait pas à la vente...

Fantasio : ...fatigué de pousser sans doute... »

La propriété d'une voiture illustre le besoin psychologique de reconnaissance de Gaston de la part du monde adulte, tout au long de la série il propose régulièrement de les transporter aux chefs de la rédactions Fantasio et Prunelle et constitue un élément important de sa stratégie de séduction à l'égard de Jeanne. Avant de posséder sa propre voiture, il exprime son désir à l'égard de Jeanne sous la forme d'une métaphore automobile en arrivant à un rendez-vous aux commandes d'un bulldozer (gag n° 288 1964) et cherche faire participer à celle-ci à son rêve automobile en lui apprenant à conduire (gag n°358 1965). Tout au long de la saga la petite voiture ne cesse de faire lien entre Jeanne et Gaston, notamment au cours des longues promenades qu'ils font ensemble.

Au milieu des années 60, La propriété d'une automobile procure à Gaston le sentiment d'appartenir à un monde d'adulte où chacun partage, avec des nuances, le même statut de conducteur (cf. M. Flonneau les cultures du volant p.125). Vision de la voiture comme symbole d'unité sociale qu'illustre à la même période les deux pages d'ouverture de l'album de Michel Vaillant « L'honneur du samouraï » (1964) montrant le défilé, au portail de l'usine. Les différents modèles de la marque « Vaillante » apparaissent comme l'image d'une société aux rapports sociaux harmonieux où chacun peut trouver la voiture correspondant à sa classe sociale, à une époque où l'industrie automobile française constitue le laboratoire de politiques d'entreprises visant à garantir la paix sociale. (JL. Loubet, « Le triomphe de l'automobile française » p.70)

L'image d'un rapprochement de classe par le recours d'un même moyen de transport ressemble à celui qui réuni à la charnière du XIX° / XX° siècle, paysans aisés et bourgeois propriétaires dans la pratique de l'attelage hippomobile avec le même type de nuance. Les paysans de la III° république attèlent leur jument d'élevage tandis que le bourgeois possèdent des chevaux spécialement dédié (dressage, sélection) à leur transport. (Cf : G. Duby, Histoire de la France rurale, tome 3).

Ce rapprochement interclasse illustré par le partage d'un même mode de transport s'effectue durant une période assez brève et n'abolit pas la différence existant, malgré les efforts des fictions, le propriétaire de Cadillac (ou à fortiori de Rolls Royce) du conducteur de 2 CV Citroën ou 4 CV Renault. Rapprochement et différence de standing social matérialisé par l'automobile qu'illustre le film de Maurice Delbez, A pied, à cheval et en voiture (1957), où un modeste employé acquière une 4 cv d'occasion pour que sa fille puisse épouser un fils de famille fortuné.

Quand à la fin de 1966, De Mesmaeker troque ses voitures de luxe contre un jet comme symbole de prestige social. Le rapprochement interclasse que suggérait le partage du même statut d'automobiliste disparaît, la possession d'un jet apparait totalement inaccessible (même sous une forme dégradé et simplifié) aux classes populaires incarnées par Gaston, ce dernier exprimera une fois de plus sa frustration en abattant l'avion avec une fusée de sa fabrication (Gag en 2 pages n°437).

Malgré les satisfactions amoureuses et sociales que lui procure son automobile Gaston ne cesse pas d'éprouver de la jalousie par rapport au luxueuses voitures de l'homme d'affaire De Mesmaeker qu'il détruit systématiquement de multiples manières. L'aspect minable et ridicule de son tacot que son aspect et sa taille assimile à un jouet et qu'il cherche vainement à embellir à coup d'inventions farfelus, humilie Gaston en le renvoyant à la crainte, refoulée d'être toujours considéré comme un enfant. Crainte secrète du ''héros sans emplois'' qu'illustre la moquerie de son ami Jules qui voyant une voiture-jouet sur le toit du tacot s'exclame.

Gag n°532 1968 :

Jules : « Ah ! Génial ! Quand tu tombes en panne avec celle dessous tu continues avec celle du dessus ? Hi Hi Hi !...

Gaston : Sot ! C'est l'auto à pédales de mon neveu... »

L'ironie de Jules assimilant dans une même phrase la voiture réel et la voiture jouet n'échappe pas à Gaston qui rectifie immédiatement le propos de son amis en soulignant la différence entre sa voiture et le jouet. La suite du gag ne lui donne pas raison puisque l'agent de police Longtarin en verbalisant de la même manière les deux véhicules annule cette différence et rejette la voiture de Gaston dans le même ensemble d'objets jouets (Longtarin verbalise la voiture de Gaston, la voiture à pédale et un patin à roulette sans faire aucunes distinctions). La colère de Gaston qui devient tout rouge n'y fait rien, sa voiture se trouve rejetée du coté de l'enfance par un Longtarin exubérant à l'enthousiasme enfantin.

Tout au long de la série les démêlés de Gaston avec l'agent de police Longtarin renvoie au monde de l'enfance par l'assimilation qu'ils présente le jeu enfantin du gendarme et des voleurs, Gaston cache sa voiture et Longtarin la cherche pour la verbaliser. Symboliquement la figure du policier correspond à l'expression de la culpabilité associé à des pulsions imparfaitement refoulées par le surmoi.

Durant les années 60 la série développe à travers le contre exemple de Gaston une pédagogie par la frustration guère différente du discours de séries au ton plus sérieux.

Faute de n'avoir pas voulu faire les efforts nécessaires pour devenir un adulte, Gaston apparaît condamné à ne posséder de l'adulte qu'une apparence dégradée qui s'apparente à l'enfance à l'image de sa voiture qui ressemble à un jouet. Ses tentatives pour acquérir via le symbole automobile le statut d'adulte se solde par des échecs. Lorsque il achète une véritable voiture de sport (M.G.) cette tentative d'acquisition d'un symbole de virilité automobile incontestable se solde par un échec son achat étant un modèle d'exposition inutilisable (Gag n°421 1966). En confondant l'accumulation des signes rattachés au monde des adulte avec l'acquisition des valeurs qui permette de le devenir Gaston révèle son immaturité. Vision sociale qui évoluera au cours des années 70 où Gaston de contre exemple comique devient modèle d'une résistance à une société consumériste et aliénante.

JLP_2
9
Écrit par

Créée

le 1 oct. 2023

Critique lue 132 fois

7 j'aime

43 commentaires

JLP_2

Écrit par

Critique lue 132 fois

7
43

D'autres avis sur Gare aux gaffes du gars gonflé - Gaston (première série), tome R3

Du même critique

Le Désert des Tartares
JLP_2
8

Salutaire ? Peut-être...

Un ado aux cheveux ébouriffé rêvant de folles chevauchées se prenant certains jours pour le général Lasalle chargeant une dernière fois à Wagram (moi) emprunta un jour au CDI de son lycée, séduit par...

le 3 janv. 2021

18 j'aime

12