Je ne connaissais Craig Thompson qu’au travers d’Habibi, et de réputation pour Blankets, qui trône dans la section « à lire » de ma bibliothèque depuis des années. Et si j’avais apprécié (il y a longtemps) l’esthétique de la mises en page et le trait dans Habibi, le roman graphique autobiographique me passionne de moins en moins.
Dommage, car ce Ginseng Roots, vendu comme un récit sur la culture du ginseng, est en fait une autobio cachée, et le seul autre vrai fil rouge en dehors du ginseng, c’est bel et bien la vie et la dépression de Craig Thompson. Il nous expose que son dernier livre fut un bide, qu’on lui rappelle tout le temps son succès passé avec Blankets, qu’il ne supporte plus les critiques en ligne, qu’il souffre d’une déformation de la main et d’une dépression. A cause du dessin ? Ou du ginseng ? Ou de son enfance de « white trash » dont il a honte ? Et puis, qui voudrait encore le signer ? Les studios d’animation ne veulent pas de lui, et lui en a marre de sa condition d’auteur.
Pas de panique, pour éviter ce délire autocentré, il va produire une enquête journalistique sur la culture du ginseng au Wisconsin, donner la parole aux intéressés. Ça a déjà été fait vingt ans avant sous forme de livre, avec les mêmes familles ? Pas grave, il interviewera leurs enfants. Et puis ce sera un roman graphique (même si pendant la moitié de l’ouvrage il estime que ce n’est pas le bon format et qu’il doit arrêter le dessin).
Et il faut reconnaitre qu’il sait composer de superbes planches, sans véritables cases, mais avec une lecture très fluide et logique. Le tout dans son trait toujours aussi agréable et reconnaissable, mais avec des variations de rouge utilisées en complément du noir et blanc, ce qui donne une vraie identité graphique au livre.
Cinq-cent pages de digressions agricoles, économiques, sociologiques, chimiques, chaque personnage rencontré est essoré de tout le contenu qu'il pourrait fournir qui touche de près ou de loin au ginseng. Jusqu'aux récits de guerre d'un fils de survivant Hmong ou à ses traumatismes familiaux non résolus. C'est parfois intéressant, mais foutraque, malgré le chapitrage : il n'y a aucune hiérarchie dans le propos.
Craig expose surtout qu’il a tout bien retranscrit, mais qu’il ne comprend pas forcément tout. Et il s’excuse et se justifie aussi sur cinquante pages sur sa possible appropriation culturelle de l’Asie orientale.
Cette enquête sur le ginseng se conclut sur un voyage touristique en Asie sans intérêt qui nous inflige au passage toutes les considérations passionnantes de Craig. (la Chine communiste est sur certains points l’exact inverse des USA, il suffirait de planter du riz en alternance avec le ginseng dans le Wisconin pour régler un vieux souci agricole, visiter la zone démilitarisée en Corée aurait été un peu plus excitant) Et puis ses réflexions sur le sens profond de la vie. Ne devrions-nous pas nous inspirer du ginseng, et valoriser nos racines, notre rapport à la terre ?
À la fin, j’étais comme le frère de Craig, j’en avais marre de voir du ginseng partout, et j’en avais plus que marre de Craig Thompson. Malgré le vrai travail érudit mené sur le sujet. Le sujet de la dépression est sensible, mais le traitement est ici trop flottant, et déjà lu cent fois dans l’autobio d’auteur de BD. J’ai plus eu l’impression de lire un journal de bord de son projet d’écriture, où absolument rien n’a été coupé pour avoir un maximum de matière à dessiner. Ce qu’il fait toujours très bien, mais il n’a plus grand-chose à raconter, et cet ouvrage semble être un aveu d’échec de sa capacité à produire autre chose qu’un récit centré sur lui. (ou sur l’exotisation de l’Orient visiblement).