L’Impératrice et l’Empereur jouent un rôle plus effacé dans ce tome, centré sur la destinée d’Adja, la gamine érigée en personnage principal par Dufaux, et qui sait très bien retenir l’attention des lecteurs masculins. Tout ce qu’on peut dire d’Adja ici, c’est qu’elle change plusieurs fois d’identité, et le sous-titre du volume (« Impurs ») suggère qu’Adja a quelque chose à voir avec cette catégorie de dégénérés souterrains, plèbe habituelle rôdant dans les égouts (ou lieux équivalents) des villes soumises à des dictatures. Adja, comme de juste, se paie la phase « descente », passage quasi obligatoire de tous les itinéraires initiatiques : trouver son vrai Moi dans ses propres tréfonds, au prix de quelques épreuves laissées à la discrétion du scénariste.

On pourra se montrer réticent sur la lourdeur inutile des effets agités par Dufaux pour racoler l’amateur de trash : Adja passe dans une sorte de moule à gaufres bien fumant, d’où déborde du sang quand il est fermé. Pourtant, la suite nous montre qu’Adja n’a pas la moindre blessure. D’autre part, rien que pour susciter l’effroi devant les « radiations », Dufaux fait passer plus tard Adja dans de l’eau « irradiée ». On ne sait pas trop de quelles « radiations » il s’agit, mais, un peu comme chez Wolverine, elles ont des effets plutôt positifs sur la santé d’Adja, et en prime, lui font retrouver la mémoire, parce qu’il faut bien faire avancer l’action, non mais sans blague. Si on essayait avec la flotte de Fukushima, pour voir ça fait pareil ?

De même, les qualités combattantes d’une fillette de treize ans semblent particulièrement exagérées par Dufaux ; évidemment, la voir triompher de mecs adultes réveille à tous les coups les fantasmes sado-maso centrés sur cette nymphette troublante, et ce genre de dispositif est bien dans la lignée libidinale des scénarios de Dufaux.

On appréciera la version Dufalienne du « baiser de feu » (planche 35)

Ainsi, Dufaux semble parfois avoir du mal à se dépatouiller des passages forts et sensationnels qu’il nous offre, car les situations ainsi décrites sont parfois assez peu en phase avec les effets invraisemblables dont elles sont porteuses.

Adamov nous montre, dans l’ensemble, un peu moins de petits culs nus – encore que, dans bien des cas, il ne s’en faut que d’une étroite étoffe au bon endroit, mais il se rattrape dans les dégénérescences physiques appelées par le scénario : humanoïde laborantin à tête de chat ; verrues dans le coin de l’œil de l’Empereur ; le blafard Frère Zosime est un bel exemplaire de la race des fanatiques longilignes et émaciés qui sacrifient tout ce qu’on veut à leur Foi; les décors intérieurs, souvent agrémentés de plafonds de grande hauteur, jouent avec les bleus et les orangés assez sages des enduits architecturaux russes classiques ; écoinçons, intrados des arcs et hauts murs alignent des panneaux peints de type « icônes ». Un élément bizarre au sujet de la gare ferroviaire « Anna Karénine » : les inscriptions qui la nomment (planches 17 et 18) semblent incertaines sur le nom (« Anna Karenkiine » ( ?), les vignettes 5 et 6 de la planche 17, qui montrent pourtant la même inscription, ne présentent pas la même séquence de lettres ; et, à la planche 18, un « M » semble suivre un « N », ce qui ne se trouve nulle part dans le nom).

Dufaux poursuit donc son numéro d’esbroufe, en suivant les codes traditionnels de la narration (il n’a pas honte de se servir encore du thème du bijou trouvé sur le corps d’un nouveau-né, qui doit servir de signe d’identification, planche 32 ! – Déjà, les romans grecs antiques et les « Nouvelles Exemplaires » de Cervantes sont là pour nous rappeler que ce lieu commun n’est pas tout jeune...). Au tome suivant, on devrait voir les alliances instables entre mafieux et clans barbares de tout poil se reconfigurer pour décider du finale entre l’Impératrice et l’Empereur...
khorsabad
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le 4 juin 2014

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