Bien trop méconnue, la mini-série The Golden Age de 1993 est une petite pépite du comics enfin disponible en France, grâce aux bons soins d’Urban Comics. Sombre et intelligente, elle poursuit les expérimentations d’oeuvres tels que Watchmen, Dark Night Returns, Squadron Supreme ou Brat Pack afin d’apporter un peu plus de nuances au genre du super-héros et à son costume plus si étincelant.

L’oeuvre n’ira pas aussi loin que certains de ses petits camarades, mais son influence est telle que ce récit qui est considérée comme hors de la continuité officielle de DC Comics aura pourtant certaines de ses idées reprises dans la très recommandable relance de la série en 1999.

The Golden Age offre ainsi un récit ancré dans le réel, mais aussi en adéquation avec une partie de l’histoire de DC Comics, en mobilisant les héros de la Justice Society of America et autres personnages évoluant au tournant de la moitié du XXe siècle. A tout honneur tout seigneur, rappelons que la Justice Society est non seulement la première équipe de super-héros, mais elle est aussi la première série à réunir des personnages de différents éditeurs (qui formeront par la suite DC Comics).

L’équipe apparaît dans le troisième numéro d’All-Star Comics à l’automne 1940, dont elle gardera les rênes jusqu’à la fin de l’attrait pour les super-héros en 1951. Elle réapparaîtra une décennie plus tard dans le nouvel univers DC, se refaisant une place avec la nouvelle génération de héros mais qui fut souvent perturbée par les décisions de l’éditeur. A l’image du crossover Crisis en 1985-1986 qui rebat les cartes de son existence, au bénéfice d’un nouvel ancrage plus moderne loin de cet héritage du passé qu’on veut alors mettre de côté.

C’est pourtant ce qui intéresse James Robinson et Paul Smith, bien loin d’un certain jeunisme du collant. Ces deux auteurs vont ainsi se pencher sur ces acteurs super-héroïques une fois la Seconde guerre mondiale finie. Ces figures du bien n’avaient pas eu la permission d’y participer, par décret présidentiel qui voulaient que les icônes de l’Amérique continuent à préserver le pays de l’intérieur mais aussi afin que leurs morts sur les champs de batailles ne minent pas le moral de la population.

A la sortie de cette Guerre mondiale où ils ont été si peu utiles, ces héros sont désœuvrés, beaucoup ont lâché leurs masques, d’autres persistent mais parfois au péril de leur santé mentale ou physique. Ce sont des hommes fatigués, dans une société qui change. Une Amérique d’après-guerre mais dans laquelle se diffuse un poison, un patriotisme éclatant mais exclusif, dont va profiter Mister America. Un héros jusque là mineur, mais qui ressort du conflit militaire auréolé d’une nouvelle gloire, qu’il va mettre à profit pour convaincre l’opinion publique de ses « bonnes » intentions. Une entreprise de communication qu’il réalise en s’entourant d’autres figures héroiques laissées sur le carreau et à qui il va donner un une nouvelle direction, à l’issue qui se pressent comme dangereuse.

Mais avant que la menace n’éclate au grand jour, les deux auteurs dressent un récit au long cours, qui va s’intéresser avant tout aux hommes derrière les masques, des destinées personnelles contrariées, mais qui auront chacun un rôle à jouer dans le conflit final : Green Lantern, Starman, Manhunter, Johnny Quick et quelques autres. On peut d’ailleurs regretter que le récit se termine dans un grand combat superhéroique précédé d’un cliché sur la véritable origine de Mister America. En effet, l’histoire annonce le Maccartysme et la « chasse aux rouges », habile complot crée de toutes pièces pour garantir la sécurité et la prospérité des USA d’après-guerre. Mais [Spoilers] en faisant de son antagoniste une menace de l’extérieur plutôt que de l’intérieur et se défaisant par cette pirouette de son climat opportuniste, patriotique et malsain, Golden Age dévie d’une ligne qui était jusque là intrigante et tendue.

La réussite de The Golden Age tient aussi beaucoup à son esthétique. Paul Smith livre ainsi un travail plus proche d’un certain réalisme que de la fantaisie de DC, presqu’au niveau d’un vieux film d’époque. Les costumes bariolés sont rares, les personnages de DC se débattent avec leurs vies avant de devoir remettre les gants. Paul Smith fait un travail remarquable sur les expressions de ses personnages, leur offrant une existence propre dont ils ont parfois manqué sous leurs marques. Les pages feuilletées font d’ailleurs très européennes, dans cette ambiance entre le thriller et la tranche de vie en quête existentielle, et c’est aussi grâce aux couleurs de Richard Ory, loin des éclats colorés, aux teintes passées voire plongées dans la pénombre de l’oubli qui guette les héros.

Peu importe que le récit soit hors de la continuité de DC, il s’apprécie pour ses belles qualités, pour son ton sans nostalgie d’une époque passée mais aussi de thèmes sociétaux qui restent à surveiller. Une œuvre phare dans le traitement de ces personnages, malgré une conclusion décevante qui revient un peu trop vers un chemin déjà trop balisé alors qu’il aurait pu poursuivre son sous-texte sociétal et politique insidieux. Une incroyable réussite d’un jeune scénariste, James Robinson, mais qui allait poursuivre son travail sur ces icônes avec sa série acclamée Starman l’année suivante avant la reprise d’une nouvelle série en 1999, récemment éditée par Urban Comics et dont nous reparlerons.

La pépite Golden Age fut publiée en France dans la collection DC Confidential en 2020, proposant des œuvres passées moins connues mais malgré tout intéressantes (et qui hélas ne dura pas longtemps, la curiosité du public ayant ses limites en dehors des héros habituels et d’un attrait pour l’actualité même si vide de sens), l’album propose aussi une histoire plus classique, le DC Special Series n°29 de 1977. Cet album spécial développait ainsi les origines de la Société de justice en les intégrant à la Seconde guerre mondiale. Un épisode pour le coup vraiment représentatif du genre super-héroique, sans les aspérités de la mini-série de James Robinson et Paul Smith, qui d’ailleurs le contredit sur quelques points. Il vaut mieux le lire en premier afin de se familiariser avec l’équipe plutôt que de s’attendre à une histoire vraiment marquante qui ferait jeu égal avec Golden Age.

SimplySmackkk
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le 14 nov. 2023

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