Manga shakespearien, beau à en faire pleurer les étoiles

La beauté physique est, et a toujours été, une source de tentation comme de damnation pour toutes celles et ceux ayant croisé son regard.


Car la beauté est une mesquine personne : si l'on pâtit de son absence toute notre vie, on en souffre souvent davantage de la côtoyer.


Et c'est bel et bien le sujet du manga Kasane, La Voleuse de Visage, finalement : le terrible prix de la joliesse. Kasane, jeune femme née laide et défigurée, paie constamment le tribut de son existence damnée. Harcelée à l'école, elle ne souhaite finalement qu'une chose : s'extirper de cette fange ténébreuse pour s'ouvrir à la lumière.


Mais la destinée de cette jeune femme s'ouvre à elle sous la forme d'un rouge à lèvres légué par sa défunte mère, aux propriétés surprenantes : il lui suffit de s'en parer, puis d'embrasser le visage de la personne convoitée... pour se l'accaparer temporairement.


Ainsi débute son ascension sur les planches du théâtre, où elle s'y illustre rapidement par son jeu et sa prestance... Mais les secrets de son passé, ainsi que le poids des remords pourrait bien avoir raison de celle qui, tel Icare, a désiré s'approcher de l'illustre splendeur.


La mangaka Daruma Matsurra frappe très fort avec cette première saga de 14 volumes, puisqu'elle nous ouvre grand les portes du monde du théâtre, et nous dépeint, telle la plus sublime des tragédies grecques, l'histoire de Kasane. Cette inspiration théâtre ne s'arrête donc pas simplement à nous dépeindre diverses pièces de théâtre mais bel et bien à nous narrer, à la façon d'un drame Shakespearien, les deconvenues de la jeune femme dans sa quête de gloire.


Cette gloire est pourtant éphémère, car au bout de 12 heures, le charme est rompu : Kasane retrouve ses traits hideux et replonge dans son quotidien. La beauté diaphane qu'elle portait tantôt, se fane, et elle doit à nouveau trouver victime afin de pouvoir poursuivre sereinement son ascension. On suit alors ses déboires tandis qu'elle cherche désespérément à côtoyer les planches, mais se pose rapidement une question : Kasane, quand elle porte les traits d'une autre, mérite elle les ovations qu'on lui offre ? À qui sont elles offertes, finalement, à Kasane... ou à son visage ?

Cette dualité entre laideur et beauté est régulièrement remise en question dans l'œuvre, et la mangaka trouve toujours les mots justes pour philosopher dessus avec une prose exquise. Cette remise en question n'est d'ailleurs pas cloisonnée qu'à Kasane, puisque ses victimes, tantôt consentantes et tantôt forcées, perdent aussi peu à peu pied avec leur réalité et ce qui faisait leur essence : qu'est finalement cette gloire, si ce n'est celle d'une imposture, d'une contrefaçon ? Qui sont-elles, dans l'infernale montée de Kasane, hormis des supports charnels ?


Le rythme de l'œuvre est donc généralement construit autour des pièces de théâtre, de leur préparation jusqu'à la première, puis de passages centrés autour du passé brumeux de la mère de Kasane. Ainsi, le lecteur ne s'ennuie jamais, tant les personnages sont développés en profondeur, et tant celui de Kasane revêt, ironiquement, plusieurs visages.


Malheureusement, la beauté est, comme je vous le disais, une personne mesquine qui, tel Charon, fait payer un lourd tribut à quiconque veut entrer dans les Enfers de la splendeur.


Car même si le mensonge fait partie intégrante du théâtre et que les spectateurs consentent à être dupés face à des acteurs jouant des rôles...

Quelle place occupe le visage factice de Kasane, dans cet univers d'apparence et de jeu double ?


Le-Maitre-Archiviste
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Créée

le 22 déc. 2022

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