Quand Forest Gump s'invite chez Mad Max

Un ricanement m'irrita les zygomatiques alors que je cherchais à deviner la discussion que Tetsuo Hara et BURONSON avaient bien pu avoir avec leur éditeur avant de publier les premières planches de Hokutô no Ken dans le Shônen Weekly Jump. Sans trop m'avancer, je pense que ça a dû ressembler à ça :




  • Alors... on a eu une super idée avec BURONSON. C'est l'histoire d'un gars qui se balade dans un Japon post-apo semblable au Sahara tellement il est dévasté. Son truc au héros, c'est de tabasser des punks du désert et les faisant imploser grâce à sa technique de combat.

  • Et ?

  • Et c'est déjà pas mal, non ?

  • Quand vous dites... imploser... vous entendez quoi par là exactement ?

  • Bah, il touche des points vitaux ici et là en frappant et... selon les endroits où il touche, ça produit différentes réactions. La cervelle sort de sa boîte crânienne, les entrailles pètent d'un coup. Rien de bien méchant.

  • ... Vous êtes en train de me dire que... dans un magazine adressé à un public dont la moyenne d'âge est quand même bien en dessous de la majorité... vous allez montrer des images bien graphiques et détaillées de cervelles qui explosent ?

  • De tripes aussi.

  • ....Vous avez conscience que «Shônen» dans «Shônen Jump», ça veut dire «Jeune garçon». En quoi c'est adressé aux jeunes votre histoire ?

  • Oh bah... y'a deux gamins qui suivent le héros. Donc... techniquement... ça le fait, non ?

  • En clair, si on résume, ce sera l'histoire d'un type accompagné de deux enfants en bas âge qui se baladent dans un désert rempli de tueurs sanguinaires qui, à terme, imploseront tous de manière violente et sanglante, le tout, sous les yeux de deux enfants innocents et purs ? J'ai bien saisi l'idée ?

  • Dans les grandes lignes, c'est ça. Non. En fait, c'est même l'intégralité du scénario. Vous en dites quoi ?



Eh bah le plus dingue, c'est que ça soit passé comme une lettre à la poste.
Sans être le premier manga où l'ultra-violence régnait de manière assumée, Hokuto no Ken a accompli le tour de force consistant à être édité dans un magazine adressé à la jeunesse. J'ignore s'il s'agit d'un mérite en soi dans la mesure où un magazine Seinen aurait - à mon sens - bien plus correspondu à ce qu'était le manga, mais ce haut-fait méritait en tout cas d'être évoqué.
Quand on sait que ce monument érigé à la gloire de la violence gratuite a pu être un jour édité et, même avoir un succès retentissant alors que le Shônen Jump édulcore à tout va aujourd'hui dès qu'une goûte d'hémoglobine commence à perler, on se dit que l'âge d'or du magazine tenait avant tout à l'audace des éditeurs d'alors.


Audace des éditeurs qui n'est pas à confondre avec l'insouciance et le je m'en-foutisme des distributeurs de chez AB productions qui, eux, auront écoulé la version animée de ce manga dans l'émission du club Dorothée adressée aux 3-7 ans. C'est encore grâce à ces cons que les mangas ont eu si mauvaise presse en France durant la décennie quatre-vingts-dix.


Après lecture du premier chapitre de Hokutô no Ken, je me suis posé beaucoup de questions. Le simplisme de la trame et des principes des personnages ne prédisposent pourtant pas à la réflexion la plus aboutie qui soit dans le domaine de la philosophie, mais des questions se sont néanmoins posées. La plus pertinente à mon sens était la suivante comment un manga où le héros peut te faire exploser d'un simple doigt dans... l'oreille va pouvoir nous faire nous inquiéter du sort d'un personnage principal virtuellement invincible ?
Oubliez la bombe atomique, le Hokuto Shinken - art ancestral par lequel Kenshirô fait imploser ses ennemis - est si dévastateur qu'on en vient à se demander naturellement comment il peut être contré. Dans un premier temps, en n'étant précisément jamais contré.


Lorsque Kenshirô est présenté pour la première fois, il est à la recherche de Julia, la femme qu'il aime et qui lui a été ôtée par Shin, élève de l'école du Nanto Shinken qui, par chez eux, ne font pas imploser mais déchiquètent les chairs depuis l'extérieur grâce à leurs prouesses martiales. Vous l'aurez compris, il ne faudra espérer aucune prouesse stratégique derrière le moindre combat : ça va simplement gicler de partout.


On retrouve chez Kenshirô un fond simplet jamais réellement abordé chez les lecteurs mais qui pourtant m'a toujours sauté aux yeux. Une fois Shin vaincu à la fin du premier tome, Kenshirô retiendra de ce dernier qu'il était un homme bon. Shin. Un homme bon. Le même Shin qui, quelques mois auparavant, lui perce sept trous dans le thorax, le laisse pour mort dans le désert, lui pique sa copine (qui plus tard se jettera par la fenêtre de dépit) et dont les lieutenants sèment la terreur et la désolation. Même un juge de Bobigny ne serait pas parvenu à lui trouver de circonstances atténuantes ; et Dieu sait pourtant que ces gens là distribuent les non-lieux aux criminels par vice.
Clairement, il y a chez Kenshirô ce côté imbécile heureux qui le rend drôle à ses dépends. En aucun cas charismatique comme j'ai pu le lire ailleurs. Certains devraient un jour se pencher sur un dictionnaire plutôt que d'employer des mots à tort et à travers.


Les dessins sont somptueux. La quintessence du virilisme poussé dans ses ultimes extrémités ; le tout, étalé sur papier blanc. Les muscles sont finement détaillés, les effets sanglants en deviendront une marque de fabrique ; le manga a le mérite de ne pas juste être un défouloir suintant d'hémoglobine mais aussi un spectacle graphique particulièrement bien travaillé.
Le style a - rétrospectivement - plutôt mal vieilli à certains égards mais aura eu le mérite de se renouveler dans la future collaboration de Hara et BURONSON : Sôten no Ken.


Des thématiques dans Hokutô no Ken ? Plus ou moins défendre la veuve et l'orphelin. En réalité, tout ce qui est prétexte à l'arrivée d'une bande de pillards des sables constituera l'enjeu du manga. Il y a Kenshirô, il y a les braves civils impuissants et, au milieu, des barbares cruels qui ne demandent qu'à se faire imploser (aucune allusion sexuelle n'est induite dans ce postulat mal formulé). Et là encore... ça passe ! Je n'en reviens pas, mais avec une intrigue aussi fine qu'un fil de nylon sur lequel sécheraient des kilogrammes d'organes sanguinolents, Hokuto no Ken réussit le pari improbable et extraordinaire de nous intéresser.


Anecdote. On sait que l'adaptation animée en France de Hokuto no Ken recèle son lot d'excentricités dans le doublage. Cela ne tenait pas seulement à une tentative d'édulcorer la violence (je le rappelle, on a adressé la version animée - heureusement très censurée au Japon - à des 3-7 ans) mais aussi à un parti pris de l'équipe de doublage française qui s'imaginait sérieusement qu'Hokuto no Ken se voulait une apologie déguisée du fascisme (dans la mesure où les ennemis que Kenshirô terrassait étaient souvent des punks).
Qu'on ait pu prêter une quelconque intention politique à un récit aussi simpliste ne cessera jamais de me faire rire.


Cela dit, on en a vite soupé de ces tripes volantes et autres cervelles étalées le long de la voie publique. Alors, BURONSON étoffe un peu le bousin. Je dois applaudir son doigté, car ce n'est pas évident de confectionner une œuvre reposant avant et par-dessus tout sur la violence pure et de lui attribuer une trame narrative adaptée. En sortant des personnages tous plus gavés de testostérone les uns que les autres, BURONSON en viendrait presque à nous faire douter de notre masculinité, nous, sous hommes qui ne déchiquetons ni ne faisons imploser qui que ce soit à la force de nos doigts.
L'arc narratif charnier - parce qu'il y aura tout de même un fond de récit - se voudra la bataille contre Raoh, autre héritier du Hokuto Shinken.
Chef de meute impitoyable et tyran hors catégories semant le chaos et la destruction partout où il passe (ce qui n'empêchera pas là encore Kenshirô de nous rappeler qu'au fond, Raoh, ce Caligula à la puissance douze, était quand même un bon gars), son hégémonie ne sera pas vue d'un bon œil par le héros qui, avec Rei et Toki ainsi que les généraux de l'école du Nanto, chercheront à en venir à bout. Ils y parviendront d'ailleurs au prix d'un arc haletant et épique et d'une fin qui aurait gagné à constituer la conclusion de l'œuvre.


Succès oblige, BURONSON et Hara ont été amenés à rempiler pour un nouvel arc qui se voudra ni plus ni moins qu'une exacte resucée de l'arc Raoh avec des frères improbables qui apparaissent de nulle part (même Raditz paraît justifié en comparaison) et une intrigue posée si artificiellement qu'on s'en détournera d'autant plus facilement. Y'aura des gros muscles, y'aura du sang, y'aura même une histoire d'amour (avec une différence d'âge assez marquée entre l'amoureuse transie et le sujet de ses désirs) dont on se fout éperdument mais ça n'aura pas le même cachet que l'arc Raoh où chaque protagoniste revêtait une importance certaine et un sens du tragique (sanglant le tragique, toujours) donnant un sens à leur présence et leurs actions. En comparaison, l'arc Kaioh fait très pâle figure. Il suffit d'ailleurs de voir que les produits dérivés issus du manga ne retiennent quasiment rien de ce qui s'est produit suite à la mort de Raoh.


Forcément. Quand le méchant «charismatique» et ennemi juré du personnage principal est vaincu, que que le héros rentre chez lui en portant sa nana dans les bras (littéralement), c'est la fin. Y'a pas d'appel possible, elle s'impose d'elle-même. Inutile de broder quelque chose après pour gratter quelques tomes supplémentaires que la postérité ne retiendra jamais.


Messieurs, n'attendez rien d'Hokuto no Ken si ce n'est la démonstration d'une idée de l'héroïsme absolument caricaturale et néanmoins jouissive. Un sens de l'épique capable de titiller et révéler chez vous le fond de beaufferie et de «masculinité toxique» que vous croyiez disparus à jamais.


Mesdemoiselles... je suppose qu'il vous reste toujours CLAMP.

Josselin-B
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le 7 déc. 2019

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Josselin Bigaut

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