Je poursuis mon exploration des thrillers « matures » de Tezuka, après Ayako et L’histoire des 3 Adolf, avec ce Kirihito dont je ne connaissais rien.
On retrouve son style rondouillard, un peu moins mignon que dans Astroboy quand même, et un scénario aux multiples embranchements et personnages, qui mêlera politique, questions médicales, fable sur l’exclusion/la discrimination et condition de la femme.
Le souci de Tezuka, c’est que je sens à chaque page qu’il voulait qu’on estime le manga comme un art majeur, et pas seulement un divertissement pour la jeunesse. Et si son scénario est très sombre et maitrisé à mon sens sur le discours médical, la satire du milieu médical, gangrené par les egos et la hiérarchie, quand il aborde des questions sociétales, c’est bien moins fin. Pour enfants, le manga ? Eh bien voici plein de scènes de cul, dont les ¾ sont des viols, pour montrer qu’on est dans un récit mature/adulte. Au point de rendre la psychologie de certains personnages complètement en roue libre, entre dénonciation légitime du sexisme dans la société japonaise (le père qui contrôle qui peut se marier à sa fille et en fait une monnaie d’échange, le harcèlement sexuel et l’invisibilisation des violences faites aux femmes) et discours à posteriori (dans le contexte de l’époque actuelle) choquant, comme cette patiente violée par son médecin, qui finit par en tomber amoureuse et souhaite même garder l’enfant issu du viol.
C’est dommage, parce que c’est vraiment les points d’écriture qui m’ont le plus dérangé dans ma lecture, tant ils brisent pour moi la crédibilité que je pouvais accorder à certains personnages. Presque tous les viols sont excusés parfois sans même une discussion, et renforcent même le lien entre les personnages…
Et pourtant, pour le reste, j’ai englouti les 800 pages de cet ouvrage très rapidement, car Tezuka est toujours le maitre du récit feuilletonesque, des retournements de situation (parfois avec des deus ex machina un peu faciles), du contournement des attentes du lecteur, et son récit nous guide à travers le monde entre le Japon, Taïwan, la Jordanie ou l’Afrique du Sud avec son intrigue de pandémie mystérieuse qui permettra de voir la vision du monde de Tezuka dans les années 70 : entre dénonciation de la condescendance et du racisme dont sont victimes les Japonais en Occident, et une essentialisation parfois maladroite de certains peuples représentés. J’ai particulièrement apprécié le segment en Afrique du Sud et le traitement de la discrimination et de la religion, ainsi que l’écriture globale du personnage principal de Kirihito, dont le destin m’a toujours surpris et qui m’a semblé en outre être un des seuls personnages principaux pas complètement méprisable.
Un récit imparfait, traversé de fulgurances et de maladresses, mais porté par la virtuosité narrative et le superbe trait de Tezuka.